La chronique de Benchicou : le témoin et le temps

Jusqu’à cet article de lundi soir sur TSA, il n’y avait rien de bien percutant à opposer aux railleries et autres dérisions exaspérées avec lesquelles certains cercles amis, qui croient avoir de solides raisons de nous suspecter de revanchisme, avaient accueilli nos derniers écrits sur la stratégie économique machiavélique de Bouteflika (1).  Nous nous étions faits une raison face à ce réflexe bien humain qui fait préférer l’idée que l’on se fait de l’époque, à l’époque telle qu’elle est.

Rien n’est, après tout, plus insupportable qu’un texte où l’on lit que « la stratégie économique du pouvoir est entièrement tournée, depuis 15 ans, vers la satisfaction des besoins de la mafia de l’importation ». Rien n’est plus inacceptable que l’hypothèse selon laquelle « la politique économique d’Abdelaziz Bouteflika ne repose pas sur une stratégie de gouvernance mais sur une stratégie de maintien au pouvoir. Les intérêts à brève, moyenne ou longue échéance sont sacrifiés au profit des alliances qui assurent le pouvoir à vie. »
Sous la pression d’un inavouable désespoir et d’une puissante et incontrôlable résignation, on optait pour traverser l’époque les yeux fermés au risque de se briser contre un mur sanglant.

Dans ces circonstances-là, il ne restait pas grand place au témoignage, celui-là dont tout journaliste, artiste ou écrivain est redevable envers les Hommes au nom de son métier. Mais il y eut cet article de lundi soir sur TSA où l’on apprenait que le gouvernement algérien s’apprêtait à prendre « une des mesures fiscales les plus scandaleuses de ces dernières années » et que « le gouvernement Sellal s’attaque aux entreprises de production et cherche à favoriser les sociétés d’importation ». Le journaliste dit détenir le document qui prouve l’authenticité de ce qu’il avance. Rien de bien surprenant : « Dans le document, le gouvernement propose d’amender l’article 150 du Code des impôts directs et taxes assimilées. Il veut faire baisser l’Impôt sur le bénéfice des sociétés (IBS) pour les entreprises d’importation et de services qui passerait de 25% actuellement à 23% et d’augmenter celui des entreprises de production pour le faire passer de 19% à 23%. Un cadeau inespéré pour les importateurs. Ces derniers, en plus de bénéficier de dinars convertibles pour leurs activités, vont payer moins d’impôts que les producteurs », écrit le journaliste.

Dans la série d’articles sur la stratégie économique de Bouteflika, tout cela était dit en des termes  encore plus accablants : « Le lobby dispose d’enveloppes énormes pour importer et de la permissivité d’agir comme bon lui semble. Ce qui est refusé aux investisseurs est allègrement accordé au cartel du marché informel. Au total, ce sont presque 800 milliards de dollars qui ont servi à quelques gros importateurs de prospérer en déversant sur le territoire toutes sortes de verroterie qui les ont fait prospérer jusqu’à devenir un puissant lobby sans lequel rien ne se décide. L’État n’y peut rien. C’est ce qu’a voulu signifier Mouloud Hamrouche en parlant des administrations pérennes de l’État phagocytées par des réseaux d’intérêts ».

Le jeune confrère apporte une réponse à l’angoissante question d’Issad Rebrab : « Je suis en train de construire et de créer des emplois, pourquoi on me bloque ? » Aucune incitation à l’investissement, écrit le journaliste. « Depuis l’année 2008, les bénéfices réinvestis ne bénéficient d’aucun abattement fiscal. L’impôt sur le bénéfice réinvesti est passé de 5% en 1992 à 12,5% en 2007 (après un bond à 15% en 1999), avant de rejoindre le même taux que le bénéfice non réinvesti en 2008. Depuis cette année,  aucune incitation fiscale n’est prévue pour les entreprises qui souhaitent réinvestir leurs bénéfices. »

C’est dit simplement. Violemment.

Il n’est pas besoin d’être revanchard pour révéler que  l’économie algérienne est entre les mains de puissants lobbys qui dictent leurs ordres à l’administration et qui, profitant qu’il n’y ait plus d’État, se sont incrustés dans les rouages institutionnels et contrôlent les mécanismes de décisions restructurant le fonctionnement de l’économie selon les nécessités de leur propre prospérité.

L’Homme n’a pas à chercher la grandeur dans le mensonge ou dans l’omission. Il lui faut tout savoir de sa condition afin de pouvoir la changer. C’est le rôle des témoins que nous sommes de ne rien cacher de ce que l’on sait. La suite, dépend de chaque Homme : à lui de trouver la grandeur en étant plus fort que sa condition.

 


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