La chronique de Benchicou : comment Bouteflika a ruiné les espoirs économiques de l’Algérie (2)

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C’est sans rire que l’inégalable Abdelmalek Sellal  vient d’annoncer son intention de  créer «  600 000 emplois avant 2020 ! », s’autorisant le rêve réservé à la Chine, aux Etats-Unis et à quelques puissants Etats européens.

Dans ces terribles instants où se joue la destinée d’une Nation, comment ne pas mesurer  sa chance d’avoir pour Premier ministre un joyeux drille qui, à défaut d’avoir le sens de l’État, possède le sens d’un certain humour ? Sellal détenait la palme de la meilleure blague de la campagne électorale : « Au cours du quatrième mandat de Bouteflika, nous transformerons Mascara en Californie ! », mémorable fanfaronnade lancée à partir de la ville des calembours. Le voilà qui bat son propre record ! Créer 600 000 emplois en cinq ans ! Nous sommes tous Américains !

C’est sans doute une façon de gouverner, chez Abdelmalek Sellal  que de faire rire la population. L’ennui, c’est qu’après avoir tant rêvé de Californie, l’on se réveille en Algérie, l’Algérie dans l’impasse, l’Algérie qui ne sait plus rien produire, seulement vendre du pétrole, du pétrole cher et abondant tant qu’il y en a, ce pétrole qui se raréfie !  Pour la seule année 2013, les ventes pétrolières ont baissé de 7,3%. Tout indique que la chute se poursuivra allègrement durant les prochaines années. L’excédent commercial appartient au passé. Depuis 2012, les rentrées suffisent à peine à financer les importations qui, elles, n’ont jamais arrêté d’augmenter. Sous Zéroual, les importations étaient limitées à 9 milliards de dollars. Sous Bouteflika, importations des services compris, sont arrivées à 65 milliards de dollars !

L’option a été d’acheter de  l’étranger ce que l’on aurait pu produire nous-mêmes. Alors, sur quelle industrie compte Sellal pour créer ses fameux 600 000 emplois ? L’Algérie enregistre le taux le plus bas de création d’entreprises au niveau maghrébin. Là où le Maroc monte 300 nouvelles entreprises  pour 100 000 habitants, l’Algérie n’en crée que 30 pour la même proportion d’habitants (Rapport du FMI cité par El Watan du 2 octobre 2009). Qui croire, Sellal ou le président du patronat algérien pour qui, il faudrait « plus de 30 ans, pour atteindre un million de PME et créer des postes d’emploi qui pourraient ainsi diminuer le chômage » ?

On comprend alors que le lobby, qui milite pour que rien ne change, ayant fait de Bouteflika son poulain. Dès novembre 2012, il s’offrait des placards dans la presse algérienne exhortant le président Abdelaziz Bouteflika à se présenter pour un quatrième mandat. Ce sont eux, les nouveaux milliardaires de l’économie informelle, qui avaient pris en charge la logistique du siège de campagne du candidat Bouteflika en 2009. Ils avaient tous payé !

En retour, le lobby dispose d’enveloppes énormes pour importer et de la permissivité d’agir comme bon lui semble. Ce qui est refusé aux investisseurs est allègrement accordé au cartel du marché informel. Au total, ce sont presque 800 milliards de dollars qui ont servi à quelques gros importateurs de prospérer en déversant sur le territoire toutes sortes de verroterie qui les ont fait prospérer jusqu’à devenir un puissant lobby sans lequel rien ne se décide. L’État n’y peut rien. L’économie algérienne est entre les mains de ces puissants lobbys qui dictent leurs ordres à l’administration et qui, profitant qu’il n’y ait plus d’État, se sont incrustés dans les rouages institutionnels et contrôlent les mécanismes de décisions restructurant le fonctionnement de l’économie selon les nécessités de leur propre prospérité. C’est ce qu’a voulu signifier Mouloud Hamrouche en parlant des  « administrations pérennes de l’État phagocytées par des réseaux d’intérêts».

Les milliardaires du marché informel ont, ainsi, acheté leur place au sein de la direction du FLN avant d’imposer leur candidat, Saâdani, à la tête du parti. Aujourd’hui, ils s’opposent à toute réduction des importations, et même à leur encadrement par l’État. Les achats à l’étranger se réalisent, pour une bonne partie, en dehors du secteur bancaire. L’experte américaine Deborah Harold, qui a enquêté sur l’économie algérienne, est repartie stupéfaite. Qualifiant le marché noir de la devise de «vrai réseau économique», elle avait lâché, devant les journalistes : « Je n’ai jamais saisi la logique de l’État qui permet cela. » La logique ? C’est sans doute celle de l’Etat rentier. Mme Deborah avait confirmé que le marché de l’informel, avec ses centaines de milliards non-déclarés, représente 50% du marché algérien. Pas besoin de construire des usines puisque tout arrive par les conteneurs.

Ceux qui savent s’attendent  à une déflagration sociale. Les autres, ceux qui croient savoir, multiplient les tartarinades. Ceux qui savent, chez nous, se taisent. Ceux qui croient savoir se répandent en absurdités. Les premiers ne savent où parler ni à qui parler. Les seconds occupent les médias de l’État. Ainsi va l’autocratie. Ici, les cadres de la Nation, les économistes, les financiers, les ingénieurs, parlent à voix basse d’un avenir sombre. Le chanteur-économiste Khaled, lui, applaudit bruyamment, avec son rire gras, l’œuvre de Bouteflika « qui a remboursé la dette du pays et prêté de l’argent au FMI ». Dans El Watan, un de ceux qui savent, ancien conseiller et directeur de la stratégie au ministère de l’Énergie et des Mines, traitant des conséquences de l’effondrement du prix des hydrocarbures, nous apprend que l’Algérie sera en situation d’endettement dès 2015 et atteindra dès 2016 le double de l’endettement de 1994.

L’État algérien, déstructuré par Bouteflika pour les besoins du pouvoir absolu, ne possède ni la volonté ni la capacité de lutter contre ce cartel de gros importateurs. La chose n’est pas nouvelle : en 2007, du temps où il était un éphémère « opposant », Ahmed Ouyahia accusait ouvertement le pouvoir d’avoir « cédé devant les groupes de pression et offert le pays aux lobbies et aux mafias ». Ouyahia reprochait à Belkhadem d’avoir abrogé la circulaire de 2004 qui interdisait aux  entreprises publiques de déposer leur argent dans des banques privées ; le lobby des trabendistes et des seigneurs du marché informel en supprimant l’obligation de recours au chèque pour toute transaction au montant supérieur à 50 000 dinars ; la mafia du sable en annulant l’interdiction d’extraction de sable des oueds ; la mafia des importateurs en abrogeant l’obligation pour les sociétés d’importation d’avoir un capital minimum de 20 millions de dinars…

Quelques-uns savent : avec le recul des exportations pétrolières, l’Algérie entrera bientôt en récession et le pouvoir est, désormais, à la merci de sa propre population. Ceux qui ont pris l’initiative suicidaire de porter la candidature de Bouteflika pour un quatrième mandat, ne tarderont pas à mesurer l’ampleur de leur forfaiture.

Seul un gouvernement de salut national pourrait arrêter la noyade spectaculaire du pays et effacer progressivement le désastre de ces quinze dernières années. Chaque jour de perdu, c’est une éternité à rattraper.

 

 


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