La chronique de Hafid Derradji : lettre d’une jeune révoltée

Mes dernières chroniques – notamment les textes intitulés « C’est bien d’être exigent mais… » et « Partez Monsieur Halilhodzic » – ont suscité une multitude de réactions chez les lecteurs. J’ai été destinataire d’un volumineux courriel. Une fois n’est pas coutume, je me garde de commenter l’actualité et je préfère laisser parler une lectrice. Voici son texte tel qu’il a été rédigé :

« J’ai lu votre article ‘c’est bien d’être exigeant, mais… ‘. Il m’a interpellé et j’ai eu envie de vous écrire pour vous dire que votre article est pertinent ! (…) Je ne lis pas toujours vos articles, parce que je les trouve tristes et démoralisants (excusez ma franchise qui peut paraître déplacée). Je pense que j’ai besoin d’articles qui me donnent du punch. Prenons comme exemple votre dernier article (intitulé) ‘Partez Monsieur Halilhodzic’. Si votre message est destiné à la société algérienne, je pense qu’il est inutile de crier tout haut ce que les gens ne comprennent pas. S’il est destiné aux autres sociétés,  je pense qu’il est inutile de crier tout haut ce que les gens ne comprennent pas.  Les premiers ne comprennent pas la langue du développement, du dépassement de soi, de l’ambition, des objectifs. Les deuxièmes ne comprennent pas la langue du sous-développement. Cet article est compréhensible par les gens comme moi, qui essayent d’émerger d’une terre engloutie. Des articles tristes m’affaibliraient, j’ai besoin que vous me transmettiez toute votre rage avec des articles stimulants !

Revenons à l’objet de mon mail, votre article, ‘c’est bien d’être exigeant, mais…’. J’ai voulu vous faire part de mon expérience pour vous conforter davantage sur ce que vous avez déjà décelé dans la société algérienne. Je suis une jeune algérienne qui vit en Algérie. Je travaille comme cadre dans une grande société algérienne. Je n’arrive toujours pas à réaliser que c’est la plus grande, vous me comprendrez dans les lignes qui suivront. J’ai  un petit poste de responsabilité (chef de service). Dans mon travail, je suis constamment confrontée à des responsables, cadres supérieurs. Avant d’obtenir ce poste, j’avais une haute image d’un responsable cadre supérieur. Il a fallu juste quelques mois (à l’épreuve de cette responsabilité) pour que cette image soit déchiquetée, brûlée, réduite en cendres (sic).

Dans mon poste,  je suis le fonctionnement de toutes les activités de mon entreprise. Lorsque je détecte des dysfonctionnements  (et je n’ai pas besoin de faire beaucoup d’efforts pour en détecter), et que j’essaie d’en discuter avec eux et de les orienter vers l’amélioration de ces dysfonctionnements (c’est la mission principale de mon poste), je les « dérange »,  je les « embête ». On me dit même « khalliha hakka » avec cet air de « laisse-moi tranquille ». Je suis scandalisée de les entendre parler ainsi, eux les « chefs » qui sont sensés donner l’exemple.

Lorsque j’ai lu ce passage dans votre article, j’ai souri. ‘Oh combien je suis confrontée à ces gens !’, me disais-je en parcourant votre texte. Vous écrivez : Et que dire alors de notre régression dans tous les autres sports et dans d’autres domaines où nous avons le pouvoir de décision ainsi que la capacité et le potentiel pour atteindre de meilleurs résultats ?

Le paradoxe, c’est que ces responsables cadres supérieurs excellent dans l’art de la critique de l’incompétence (des subalternes). Ne voient-ils pas qu’ils sont ceux-là mêmes qu’ils critiquent !

M. Derradji, vos doigts ont joué sur le clavier tout ce que mon esprit pleurait (sic) : Vous écrivez : C’est tout aussi bien de demander aux joueurs de fournir les efforts nécessaires pour gagner des matchs et se qualifier au deuxième tour du Mondial.  Mais le plus beau serait que tout le monde fasse de même et que chacun à son niveau travaille dur pour la prospérité de notre pays. Il serait judicieux d’appeler nos représentants et nos responsables à enregistrer eux aussi de bons résultats dans d’autres domaines et en toutes circonstances et non pas lors d’une Coupe du monde uniquement.

J’ai eu la chance d’avoir des parents instruits et cultivés, et donc d’avoir la bonne référence dans cette société folle. J’ai un contrat moral avec moi-même : celui de ne jamais les laisser me tirer vers le bas, ne jamais me laisser influencer par leur majorité, et même si je suis seule à me battre contre tous je continuerai à me battre, et s’ils m’amputent les bras et les jambes j’escaladerai les marches du développement en rompant, je défierai toutes les lois de la relativité (sic).

Je me dis que ce que je vois dans l’entreprise où je travaille, c’est la société algérienne à petite échelle. Cette société est faite de ces gens, dirigée par ces gens qui viennent de ces gens. Voilà de quoi est fait notre pays, de qui il est constitué, voilà pourquoi ça bute ! Voilà pourquoi ça coince ! Le développement doit commencer à la racine. Pour cette génération c’est « foutu » à moins de les faire endormir et de leur faire un étalonnage du cerveau et de les lâcher ensuite dans la nature (sic). Pour les générations à venir, il doit commencer par l’éducation dès le premier cri, au sein de la famille, puis à l’école afin qu’ elles germent avec les bonnes références ».

derradjih@gmail.com


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