Entretien avec Nouria Benghebrit, ministre de l’Éducation nationale

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Un syndicat a dénoncé une fraude sophistiquée et des menaces contre des enseignants au cours des épreuves. Quel bilan faites-vous de l’examen du baccalauréat ?

De manière générale, nous sommes plutôt satisfaits de la façon dont l’examen du baccalauréat s’est déroulé sur le plan organisationnel. Il y a eu des moyens colossaux et une mobilisation quasi sociétale pour encadrer cet examen et assurer sa crédibilité. Les commissions locales présidées par les walis encadrent tout le processus en mobilisant tous les secteurs, tels la Santé, la Protection civile…

À l’intérieur des centres et dans chaque salle d’examen, il y a trois surveillants de différents paliers d’enseignement. Des observateurs sont désignés par l’Onec pour superviser le déroulement de l’examen. Un dispositif supplémentaire hors des centres d’examen regroupant des surveillants d’urgence est mis à la disposition des centres en cas d’absence des surveillants.

Mais comme il s’agit d’un examen qui concerne tout le pays avec près de 657 000 candidats, il serait impossible d’avoir une maîtrise totale du processus. Des cas isolés de fraude, de menaces et de complicité ont été enregistrés. C’était extrêmement marginal. Nous avons mis à la disposition des élèves des dépliants et des affiches sur les conséquences en cas de fraude.

Quel est le taux de réussite que prévoit le ministère de l’Éducation ?

Des débats et des controverses ont eu lieu, ces dernières années, autour des taux attendus. Ceci étant, il est tout à fait normal qu’on puisse faire des prévisions. Nous avons les moyens pour faire des approximations à partir du suivi des résultats et du contrôle continu. Nous pouvons faire des projections à partir de l’analyse des cinq dernières années et voir les tendances par filière. Et nous aurions pu faire cela si on n’avait pas la pression que l’on a subie. J’ai pris mes fonctions pratiquement à la veille de l’examen et j’ai voulu éviter un problème supplémentaire et non alimenter la culture du secret. Car nous estimons que la société a le droit de savoir  via les médias. C’est juste que nous souhaitions que l’opération puisse se faire de la manière la plus scientifique. Peut-être qu’il y aura une évolution sur ce plan, l’année prochaine. En tout cas, les résultats seront connus au cours de la première semaine du mois en cours pour le baccalauréat.

Comptez-vous reconduire le seuil des cours l’année prochaine ?

Absolument pas ! Cela a pu se faire par le passé pour des raisons exceptionnelles, liées au contexte de grève qui a amené à tronquer la progression des disciplines. Il n’est pas question que cela devienne un acquis, car se serait porter atteinte au fondement du système éducatif et à la préparation des générations futures. La valeur du baccalauréat algérien devra être non seulement préservée mais bonifiée. Nous devons rompre avec ce qui a été pratiqué ces dernières années, pour un examen aussi vital, d’autant plus que cette étape est décisive pour l’avenir de nos élèves. Dans un programme, il y a une pertinence et une cohérence. Un enseignement a sa logique. Donc, nous ne pouvons pas nous  permettre de supprimer les derniers cours dans la confection des examens sous prétexte qu’ils n’ont pas pu être assurés. Pour y remédier, des mesures urgentes  auraient pu être prises en travaillant les week-ends, par exemple, s’il le fallait.

Jusqu’à maintenant, nous avons payé assez chèrement les effets combinés de deux désagréments ; à savoir, les grèves menées en cours d’année, d’un côté et de l’autre, la pratique généralisée de l’école buissonnière par les élèves et ce,  au fur et à mesure que l’on se rapprochait de la fin d’année scolaire où le troisième trimestre était quasiment tronqué. La solution miracle semblait être trouvée avec le seuil (ou ‘’attaba’’ en arabe) qui donnait l’agrément à un programme d’enseignement inachevé. Sans oublier qu’avec cette ‘’attaba’’, des compétences complètes, prérequis pour l’université, ont été éliminées. Il y a eu un taux d’échec très important en première année universitaire.

À mon arrivée, les jeux étaient faits pour  cette année. Pour la prochaine année, il n’y aura pas de seuil quel qu’en soit le prétexte. Il faut savoir que l’élève algérien engrange au maximum – sans les grèves – un nombre de 28 semaines d’enseignement/apprentissage par an contre 36 à 40 semaines dans d’autres pays.

Le problème de la surcharge des classes resurgit, chaque année, en Algérie. Avez-vous pris des dispositions pour la rentrée ?

Nous avons près de 26 000 établissements. Le problème de la surcharge des classes touche entre  4 et 5% de la totalité de nos établissements scolaires. Effectivement, il y a des établissements qui sont en surcharge. Mais il s’agit de certains établissements, de certaines classes et dans certains niveaux. Devant  cette situation, le recours à la double vacation s’impose à l’école primaire dans certaines villes où il y a un programme important de réalisation de zones d’habitations nouvelles. Le programme de réalisation  en cours nous permettra, à la rentrée, de résoudre en partie cette situation. Nous tendons, déjà, vers des classes de 20 à 25 élèves. Le droit constitutionnel à l’éducation de nos enfants doit être respecté.

Vous évoquez le droit constitutionnel à l’éducation mais qu’en est-il de la qualité de l’enseignement ?

En fait, on peut constater que, jusqu’à maintenant, il n’y a pas toujours eu, selon les cycles d’enseignement, compatibilité entre recherche de la qualité et accès universel à l’école. Dès l’indépendance, la politique éducative a eu pour objectif d’assurer d’abord une place pédagogique à tous les enfants algériens. Mais des mesures qualitatives ont été introduites au fur à mesure par les directions pédagogiques  du ministère de l’Éducation nationale et par les différentes commissions  installées à cette fin. Un des objectifs de la  commission  de la réforme du système éducatif consiste à améliorer la qualité du rendement du système. C’est un long processus auquel nous tenons.

La violence en milieu scolaire qui empoisonne de plus en plus l’école…

Le dossier de la violence en milieu scolaire constitue une des préoccupations du ministère. Nous disposons de plusieurs enquêtes et études sur le sujet. Plusieurs entrées sont prévues pour faire face à ce phénomène comme l’introduction  de la dimension « civisme » dans l’enseignement, la formation  des enseignants, l’introduction de la culture  de débat entre enseignants et élèves, des cellules d’écoute pour adolescents, des campagnes de sensibilisation et d’information en collaboration avec des psychologues et les conseillers d’orientation, une mise à jour des règlements intérieurs des établissements et, enfin, la mise en place du Code de déontologie destiné à la communauté éducative.

En fait, on a toujours été habitués à avoir un rapport d’autorité plutôt qu’un rapport de débat et de discussion. Et cela que ce soit dans le milieu familial ou au sein du système scolaire. Dans une classe où on retrouve des redoublants et des jeunes qui accédant pour la première fois en quatrième année moyenne par exemple, le recours à la violence pour les premiers est une façon de manifester leur présence et une forme d’autorité qu’ils veulent imposer aux seconds. C’est pour cela qu’il faudrait établir un vrai programme de formation sur ces aspects avec les enseignants au niveau des conseils d’orientation et des psychologues dans les établissements.

Justement, est-ce que des sanctions plus sévères pourraient être adoptées pour y remédier ?

Des sanctions seront prises en cas de dépassement et ce conformément à la règlementation en vigueur. Cela dit, la sanction ne constitue pas toujours la solution. Quand l’élève est dans une situation d’échec, il est aussi dans la détresse. Par contre, il s’agira de faire plus de suivi en matière de détection de certaines compétences. Il y a des enfants dont la place n’est peut-être pas dans l’enseignement général par exemple, mais plutôt dans des filières au niveau de l’enseignement professionnel. Il y a tout un travail à faire en matière d’orientation scolaire.

La question relative au manque des enseignants de français et parfois la mauvaise maîtrise de cette langue par un certain nombre de ces enseignants continue d’être posée. Qu’avez-vous prévu à ce sujet ?

Nous sommes  conscients. Pour remédier à cette situation, des mesures ont été prises, il s’agit de motiver les enseignants pour aller travailler dans les wilayas du Sud et des Hauts Plateaux  pour plus de mobilité en les motivant en leur offrant un logement  et   un cadre de vie décent et d’avancer les dates des concours de recrutement au mois de juillet et assurer la formation  et leur préparation avant la rentrée.

La qualité du manuel scolaire, dont l’impression se fait en partie dans des imprimeries privées, est mauvaise…

Même si l’impression a été faite dans l’urgence, un progrès a été enregistré par rapport aux décennies précédentes. Nous comptons dorénavant améliorer davantage la production des manuels scolaires sur les plans : contenu, présentation et autres  et ce dans le cadre du projet de la refonte de la pédagogie.

Que comptez-vous faire exactement ?

Vous avez un cahier des charges,  un appel d’offres à lancer. Quand des imprimeurs répondent, des équipes doivent aussi postuler pour l’élaboration du manuel correspondant au cahier des charges. Ensuite vient la validation. Donc, il y a un processus, et  il ne s’agit surtout pas de donner des intitulés pour réaliser un ouvrage sans que cela ne corresponde au cahier de charges. Ceci dit, il est possible, à travers la formation des concernés et le suivi de l’opération, d’améliorer le processus d’ensemble.

Ce processus n’était pas respecté auparavant ?

Il a été respecté mais pas tout le temps et des manuels non homologués ont été imprimés. Encore une fois, cela n’a pas été un choix délibéré. Le système scolaire a souvent été confronté à la  logique infernale de l’urgence. Et là, on prête le flanc à toutes sortes de contraintes, non seulement aux erreurs, aux coquilles mais, malheureusement aussi, à l’absence, parfois, de recul et de temps réservé à la réflexion, la consultation, et l’élaboration. Cette année, nous avons voulu prendre les devants. Il s’agit de redonner la position d’autorité que devrait avoir la Commission nationale des programmes. Nous avons introduit un texte pour la transformer en conseil national des programmes qui doit être le référent principal pour l’ensemble des actions à mener.

Pourquoi notre système éducatif est-il moins performant que les systèmes éducatifs des autres pays maghrébins, dont la Tunisie par exemple ?

Le type de colonisation qu’a connu l’Algérie, très différent de celui de ses voisins, a sans doute marqué aussi l’évolution du système éducatif dans notre pays. Nous avons opté pour la généralisation et c’est une option politique. Tout Algérien doit trouver sa place. Et nous sommes à 98% de scolarisation, il reste 2% lié à des considérations sociologiques d’une partie de la population algérienne que nous devons régler le plus rapidement possible. Donc, il faut que l’ensemble des enfants d’une génération donnée soit à  l’école. Il faut également assurer les mêmes conditions à l’ensemble des enfants algériens. Ce qui n’est peut-être pas toujours le cas chez nos voisins où il y a beaucoup de déséquilibres.

Des dizaines de Marocains et Tunisiens gagnent les concours des plus prestigieuses écoles préparatoires en France par exemple. En Algérie, on a fait le choix entre le nombre d’enfants scolarisés et la qualité…

Les Algériens gagnaient aussi haut la main ces concours jusqu’aux années 1990. Il ne faut pas oublier cette période de terrorisme qui  a fait perdre le sens des priorités. Le cœur de la résistance était aussi l’école. La peur au ventre et le cœur serré, les parents continuaient à envoyer les enfants à l’école malgré toutes les conséquences, les menaces et malgré les victimes. Mais il est vrai qu’il y a eu des dégradations au niveau de la maitrise d’un certain nombre de compétences et d’apprentissage. Sans oublier le courage et le sacrifice d’une grande partie de nos enseignants durant cette période douloureuse.

La conférence nationale de l’éducation aura lieu les 20 et 21 juillet pour l’évaluation du processus de dialogue autour de la réforme du système éducatif. Quelles sont les grandes lignes de cette réforme ?

Ces journées parachèvent un processus de concertation lancé l’année dernière autour de l’évaluation à mi-parcours de la mise en œuvre de la réforme dans son segment enseignement obligatoire (primaire et moyen). Toutes les composantes de la communauté éducative y ont contribué : rencontres à l’échelle de l’établissement, synthèses aux niveaux wilaya, régional et national. Ces synthèses seront présentées aux experts nationaux pendant ces journées du 20 et 21 juillet 2014. La réforme a souffert d’un déficit de communication. Ainsi, nous nous proposons d’y remédier et de réaliser des plateaux-télé avec nos cadres et nos experts. Ils seront chargés de dialoguer, d’informer et de sensibiliser  sur cette réforme. Initiée par le président de la République, celle-ci  proposait une évaluation extrêmement fine, pertinente et ciblée. La Commission nationale de la réforme du système éducatif  a travaillé en 2000. Ensuite, la réforme a été mise en œuvre à partir de 2003 avec un certain nombre d’actions sans que l’opinion publique, y compris les acteurs du système dont les enseignants, ne perçoivent, peut-être, la cohérence d’ensemble.

Dans cette réforme, nous avons d’abord la refonte pédagogique. Au sein de la Commission nationale de la réforme, il était entendu que le grand problème se posait en matière d’acquisition de compétences au bout d’un itinéraire de scolarisation. Partant de ce constat, la Commission est allée dans les détails en disant, par exemple, que si l’élève a des difficultés en matière de maitrise langagière, c’est parce que la langue scolaire posait problème en termes d’apprentissage. On a fait des progrès gigantesques là aussi. Ensuite, nous avons la formation des enseignants où de gros investissements ont été consentis par l’État.

Nous avons une seule école française en Algérie fréquentée surtout par les enfants de hauts responsables alors que de nombreuses demandes d’ouverture d’autres écoles restent en attente d’un accord…

D’abord, une précision : cette école est ouverte aux enfants de nationalité française mais aussi aux enfants algériens dont les parents ont suffisamment de moyens pour honorer les frais de scolarisation. Des négociations sont en cours avec la partie française pour étudier la  possibilité d’installer d’autres écoles à  Annaba, Tizi Ouzou et Oran. De même, l’Algérie demande à ce que des écoles algériennes soient ouvertes à Marseille, Lyon et Lille. Les commissions sont à pied d’œuvre pour étudier la dimension juridique et la dimension de réciprocité concernant ce dossier. La dimension de réciprocité est importante pour nous.

Avez-vous  choisi  vos collaborateurs au sein du ministère ? Comment comptez-vous réaliser votre programme avec les mêmes cadres ?

Je trouve sans discernement qu’on a tendance à porter un regard négatif sur le cadre qui reste longtemps à son poste. Au-delà de l’ancienneté, il  peut y avoir aussi de l’expérience. Ils sont nombreux à avoir beaucoup d’expérience. Je souhaiterais doubler ces cadres avec des jeunes appelés à prendre la relève. Je trouve que c’est du gâchis de laisser partir des personnes en retraite sans les avoir fait contribuer, durant au moins deux années de formation au profit de cette relève afin qu’elle puisse être de qualité. Ce système de tutorat existe dans certains pays développés.

Comment expliquez-vous les attaques dont vous avez fait objet, il y a quelques semaines, concernant vos origines ?

Je pense qu’ils ont peut-être été surpris d’avoir dans ce secteur, une personne comme moi. Le fait d’être femme et de ne pas être dans le moule les a perturbés. Cela s’est manifesté par une campagne mensongère. J’ai considéré cela comme étant totalement injuste parce que je n’avais pris aucune décision encore. J’ai bien évidemment une vision des choses. J’ai regardé comme tout le monde quelques émissions où je ne croyais pas mes oreilles. Les préjugés sexistes, racistes et xénophobes n’ont aucune place dans notre approche de la culture nationale et de l’enseignement scolaire.

J’avais l’impression qu’il y avait une guerre sainte autour de la protection de la langue. Seulement, la réalité est tout autre. Tout l’enseignement se fait en langue arabe. Il n’y a pas de raison de se sentir perturbé. Par contre, il faut être perturbé par les mauvais résultats auxquels nous sommes, malheureusement, parvenus. L’enseignement de la langue arabe diffusé par le système scolaire doit sans cesse être amélioré car c’est par elle que transite la culture de base de nos enfants et la structuration de leur façon de penser et d’être.  Son enseignement, comme celui de toutes les autres disciplines, devra  contribuer au développement des aptitudes d’analyse, de jugement, de créativité et de rationalité. Tout comme elle participe à cultiver chez nos enfants le sens de l’effort et du civisme, entre autres valeurs, consacrées par l’algérianité.

À ce propos, faudra se féliciter des réactions positives et de solidarité de la part de larges segments de la société algérienne envers l’approche que je défends. N’est-ce pas un signe de bonne santé et d’optimisme pour l’avenir de notre pays ?


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