Le système de santé algérien est-il tenable ?

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Bekkat-Berkani Mohamed est pneumologue et président de l’Ordre national des médecins. Il revient dans cet entretien sur les assises nationales de la santé qui se sont tenues le 16 et 17 juin à Alger.

Quelle appréciation faites-vous des assises de la santé qui se sont tenues en début de semaine ?

J’étais à l’atelier sur la politique de santé, la déontologie et l’éthique. J’étais concerné par le système de santé national futur, mais aussi par les questions d’éthique et de déontologie. Ces assises se sont tenues dans des conditions plus que satisfaisantes. Il y a eu plus de 1 200 participants comprenant l’ensemble des professionnels de la santé : les médecins, les paramédicaux, les techniciens, les gestionnaires, les administratifs…

Je suis dans le mouvement médical depuis plus de 12 ans et président de l’Ordre national des médecins et de différentes commissions. Je n’ai jamais vu des assises où il y a non seulement une forte participation en quantité, mais aussi en qualité de représentativité et en qualité de propositions. Il faut souligner également que l’administration s’est placée totalement en retrait. La  réflexion s’est faite à partir des recommandations  des assises régionales qui se sont tenues avec le même succès, de liberté de ton et de propositions.

Quel est l’objectif de ces assises ?

Il s’agit de présider à l’élaboration des textes fondamentaux,  à savoir la loi sanitaire et des décrets y afférents. Il faut reformer tous les textes qui ont plus de 25 ans d’âge. Des idées fortes ont été émises en toute liberté, en toute transparence et en toute objectivité. Les recommandations de  chaque atelier ont toutes été capitalisées. Il sera mis en place deux comités, un de suivi des recommandations et un comité de rédaction qui lui-même est mixte et concerne toutes les représentativités.

Des participants ont plaidé pour que le département de la Santé devienne un ministère de souveraineté ?

C’est un ministère qui dépend de l’intersectorialité. Par exemple, pour changer le statut des médecins, qui touche à la fonction publique, cela relève au bout du compte du Premier ministère. Il faut donner au ministère de la Santé des moyens de souveraineté pour prendre des décisions et  qu’il soit financé à hauteur de toutes les actions de santé publique qui doivent être faites.

Quels changements ont-ils été proposés ?

L’Algérie est arrivée à un stade où on se demande comment on peut sortir de cette crise multidimensionnelle  qui touche au fonctionnement, aux équipements, au financement, à la gouvernance… Par exemple, comment remplacer le service civil, comment faire des incitations financières aux médecins pour rejoindre des régions qui sont des déserts médicaux. Les participants ont émis le vœu que la sécurité sociale soit rattachée à la santé, car aujourd’hui la sécurité sociale est l’organe qui rembourse les médicaments. Or l’agrément des médicaments est donné par  le ministère de la Santé. Cela crée un certain nombre de disfonctionnements. Donc pour éviter ce double emploi, il faut que l’argent des cotisants revienne à la santé, qu’elle puisse en disposer. À ce moment-là, elle pourra rendre des comptes à la société.

Que pensez-vous du débat autour de l’activité complémentaire ?

La commission que j’ai présidée s’est prononcée soit sur  l’abrogation soit sur la révision de la loi portant l’activité complémentaire qui, sous sa forme actuelle, amène des dépassements. L’esprit qui préside à son application est dépassé. À l’époque, il n’y avait pas assez de médecins, ce n’est pas le cas aujourd’hui. Il est temps de séparer le secteur public du privé. Il faut savoir que dans le temps complémentaire seulement 30 % des spécialistes l’occupent. Il s’agit de la chirurgie, l’ophtalmologie, la gynéco-obstétrique. Les cardiologues, les pneumologues, les dermatologues ne le font pas. Quelque part ils sont lésés et depuis longtemps. Il faut trouver des mécanismes à déterminer avec les syndicats représentatifs.

Quelles sont vos attentes en matière de déontologie ?

Nous avons demandé la séparation des ordres médicaux. Il faut également les ériger en instances indépendantes et électives qui sont chargées de la déontologie, et il faudra que leurs décisions soient prises en compte en matière administrative avant l’exercice médical et au moment. Ils doivent également pouvoir prendre des sanctions disciplinaires dans la mesure où l’exercice médical est normalisé. Et on a demandé des lois de bioéthique. Elles sont totalement inconnues en Algérie pour pouvoir donner un substratum légal aux greffes avec la création d’une agence nationale de greffes, lui donner les moyens pour légaliser le don d’organes et prendre des positions éthiques sur le don d’organes. Tout le monde en parle mais, sur le terrain, il n’y a aucun cadre législatif.

Comment permettre à l’hôpital public de survivre dès lors que son financement provient de l’Etat et de la rente pétrolière ?

Un atelier était réservé à cette question et a donné quelques pistes. Le problème de la santé en général et de la santé publique en particulier repose sur la nécessité d’un conventionnement sérieux avec la sécurité sociale. Il s’agit d’un organe financier de la santé publique mais jusque-là, il n’agissait que par forceps. D’après les recommandations, les hôpitaux se doivent de faire dans la rigueur. Par exemple, faire des économies sur les journées d’hospitalisation, ne pas faire un gaspillage d’examens complémentaires…

Ensuite, en matière de sources de financement, il existe de nombreux impôts indirects comme par exemple la vignette automobile. Ce sont des ressources de l’État qui doivent normalement aller non seulement au fonctionnement des hôpitaux, mais surtout à la prévention des maladies. Il faut savoir que l’objectif futur consiste à sortir du tout curatif pour aller vers le tout préventif. Plus de la moitié du budget des médicaments des hôpitaux va aux médicaments anticancéreux. Ils sont utiles, relativement, car le cancer est pris en charge très tard malgré la chirurgie et la chimiothérapie. On parle de survie. Mais dans la prévention du cancer, on fait des économies et pour l’individu et pour la société.

Quand on dit que la sécurité sociale doit faire partie de la santé comme c’est le cas en France avec le ministère des Affaires sociales et de la Santé, cela servira à équilibrer les comptes. Car l’Etat, pour le moment, donne mais il faut que tout un chacun y réfléchisse. Les hôpitaux aujourd’hui sont budgétivores car ce sont de vieux équipements, de vieux bâtis, parce qu’on passe du temps et on dépense de l’argent à réparer la plomberie, le bloc opératoire et le chauffage. Il faut construire des hôpitaux qui ne sont pas budgétivores.

Ne devrait-on pas revenir sur la gratuité des soins ?

Absolument pas. Cela a été réaffirmé dans le discours du Premier ministre. Nous ne pouvons pas en Algérie remettre en cause la santé pour tous et la gratuité des soins. Mais il y a des méthodes. Quand le malade a besoin de faire un séjour à l’hôpital, on peut lui demander une petite contribution forfaitaire. Mais ce qui se passe aujourd’hui, c’est que le service rendu par le service public est écarté par le malade car il n’a pas confiance dans le service public. Il préfère aller dans le privé. Toute la problématique c’est de savoir comment redonner confiance dans le secteur public.

 


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