Visite de Laurent Fabius à Alger : que peut faire l’Algérie au Sahel ?

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Djallil Lounnas est chercheur au Centre des études sur la paix et la sécurité internationale (CEPSI) de l’université de Montréal. Ses recherches concernent notamment Al Qaida au Maghreb islamique (Aqmi) au Sahel. Il est également professeur-assistant à Al Akhawayn University au Maroc.

Laurent Fabius effectue une visite à Alger dans un contexte marqué par la détérioration de la situation au Sahel. Qu’attend concrètement Paris d’Alger en matière de coopération sécuritaire ?

Comme toutes les autres puissances étrangères, la France s’attend à ce qu’Alger ait une plus grande présence dans la région. D’abord, on veut une meilleure coopération en matière de renseignements, car il faut savoir que les pays ne partagent jamais tout et se contentent de donner 30 à 40% des renseignements qu’ils collectent. Et il se trouve qu’Alger est la meilleure base d’informations en matière de renseignements. Ensuite, on souhaite que l’Algérie s’implique de manière plus directe. Qu’elle joue un plus grand rôle dans sa stabilisation de la région. Chose qu’Alger ne veut pas faire pour l’instant.

En quoi consisterait une plus grande implication dans la stabilisation de la région ?

Concrètement, cela veut dire une intervention militaire massive avec des troupes au sol. Les Français sont intervenus, mais ils comptent se retirer en maintenant un minimum de (soldats) sur place, près de 1 000 hommes. Les Américains ne veulent pas s’impliquer plus qu’ils ne l’ont déjà fait dans la région. Donc ces puissances veulent une plus grande participation des acteurs régionaux, notamment de l’Algérie, dans la stabilisation (du Sahel).

En fait, l’opération Serval a considérablement affaibli les groupes islamistes au Nord-Mali, mais ces groupes se sont simplement dispersés et sont partis notamment au Niger, au sud de la Libye. Ces groupes islamistes attendent le départ des Français pour revenir. Et nous sommes toujours dans la situation pré-2012, voire pire. L’intervention française n’a pas tout résolu. Le problème des Touaregs reste posé et l’État malien est toujours faible.

L’Algérie se contente de sécuriser ses frontières même si des rumeurs font état d’opérations commandos menées par l’Algérie au niveau de ses frontières avec le Mali, par exemple. Donc, la question qui se pose est : peut-elle toujours continuer à adopter la même attitude qui consiste à ne pas s’ingérer et ne pas intervenir tout en essayant de régler les problèmes via un dialogue politique et en aidant les acteurs sur place ?  Peut-elle laisser une menace s’installer à ses frontières ? Laisser des groupes comme Aqmi, le Mujao, Ansar Charia préparer des attaques contre le pays ? Puisqu’on sait que l’Algérie est sur leur liste et qu’elle est considérée comme un ennemi au même titre que les États-Unis et ceux qu’ils appellent les Judéo-croisés.

L’Algérie a-t-elle les capacités nécessaires pour intervenir militairement au-delà de ses frontières ?

Oui. Il suffit de regarder l’évolution du budget de son armée. Cette année, l’Algérie va dépenser 14 milliards de dollars pour son budget de défense. Ce qui représente 25% des budgets de la Libye, de la Tunisie, du Maroc et de la Mauritanie additionnés. L’Algérie a des moyens militaires et humains qui font d’elle une puissance militaire régionale. Et jusqu’à maintenant, elle n’a fait qu’éteindre le feu quand il arrive à ses portes mais elle n’essaie pas de l’éteindre à l’extérieur. En même temps, Alger ne veut pas intervenir pour des raisons qui sont objectives aussi. Des raisons basées sur la complexité des conflits et l’imbrication des groupes. Si on rentre dans ces pays, on risque de s’enliser dans des conflits à n’en pas finir.

Pour quelle stratégie devrait-elle opter ?

D’abord, je pense que l’Algérie n’a pas vraiment le choix concernant le rôle qu’on veut lui faire jouer. Donc, il faudra qu’elle négocie le mieux possible ses intérêts. Entre une intervention massive et ne rien faire, il y a un juste milieu. Sa stratégie doit être multiforme. C’est-à-dire essayer de redévelopper ses réseaux dans la région car elle a perdu beaucoup de place avec les derniers événements. De voir ses alliés et de les soutenir économiquement et militairement. Et là, je pense qu’il faudra qu’elle adapte sa doctrine des années 1970 au contexte actuel. Nous n’avons plus des acteurs étatiques clairement identifiés avec des alliés. Aujourd’hui, on se retrouve face à des acteurs non étatiques, bien armés, avec une idéologie, une façon de penser et une détermination pour aller jusqu’au bout.

Enfin, je ne crois pas que l’Algérie devrait s’interdire des opérations militaires limitées dans le temps et l’espace, mais pas massives. Des opérations préparées à l’avance dans des cadres multilatéraux.


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