Hommage : Lucette !

Elle m’avait appris l’histoire, la géographie et deux ou trois petites choses dont je saurai plus tard qu’elles m’avaient servi de lanternes quand, dans ma vie, il faisait nuit.

C’était en 1971, à Alger, sous Boumediene et Lucette venait en Deux chevaux, « ma brouette pour aller chaque samedi à Cherchell ». C’était en 1971, sous Boumediene et « Cherchell », il valait mieux ne pas répéter deux fois. On ne savait jamais. Du reste, Lucette ne parlait ni de Cherchell, ni du PAGS, ni même de politique, seulement d’histoire, de géographie, de la pluie parfois, du mauvais temps et du bac. J’étais son meilleur élève, ce qui ne m’ouvrait droit à rien, seulement à des remontrances : « Ne dors pas sur tes lauriers ! » C’était la combattante qui parlait, mais moi, en retard d’une époque, je parlais à la prof. Elle avait des cheveux blonds, des yeux rieurs, un optimisme exaspérant, une vitalité de jeune fille. « Tu as compris ? Ne dors pas sur tes lauriers ! » Non, Lucette, c’est promis ! Des yeux rieurs, un sourire éternel accroché aux lèvres d’une belle bouche. Comment y voir le portrait d’une dame à la vie si dure, aux idéaux si intransigeants ?

Lucette, Moudjahida, journaliste engagée à l’hebdomadaire du Parti communiste algérien, puis à Alger Républicain en 1952.  Elle ne parlait pas de cela, Lucette. Jamais. Seulement d’histoire, de géographie, de la pluie et du beau temps. Elle ne parlait pas de la guerre. Elle l’avait faite du côté du FLN. Elle ne parlait pas de torture. Ni de Bachir. Ni de Cherchell. Ni d’Ain-Sefra : « Je jure sur la haine et la foi qui entretiennent la flamme /Que nous n’avons pas de haine contre le peuple français ». Bachir Hadj Ali écrivait-il pour Lucette ? Sans doute. « Je jure sur l’angoisse démultipliée des épouses
Que nous bannirons la torture

Et que les tortionnaires ne seront pas torturés ».

Elle ne parlait pas de cela. Non jamais.

Elle ne parlera plus de rien. Lucette est morte aujourd’hui.

Il n’y a brusquement rien à dire. Tout a été dit.


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