Entretien avec Zaïr Kedadouche : « Les Français d’origine algérienne subissent le racisme et la discrimination plus que les autres »

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Zaïr Kedadouche, Français d’origine algérienne, a démissionné avec fracas de son poste d’ambassadeur à Andorre, pour dénoncer le racisme et la discrimination dont il se dit être victime. Entretien.

Vous êtes diplomate depuis 2008. Pourquoi avoir attendu jusqu’à aujourd’hui pour dénoncer le racisme dont vous parlez ?

Pour une raison simple. Tout d’abord, je suis astreint au devoir de réserve. J’ai souffert pendant des années et je me suis tu par loyauté vis-à-vis de mon administration. La lettre au président était confidentielle et elle est sortie sans mon consentement. Personnellement, j’ai voulu régler l’affaire en interne. Cette médiatisation est indépendante de ma volonté.

Les choses se sont-elles dégradées depuis l’arrivée des socialistes au pouvoir ?

Ce n’est pas lié aux socialistes. Je pense que le président de la République est très sensible à ma situation. Ce qui n’était pas le cas de l’administration précédente. Et je pense avoir le soutien du cabinet de l’Élysée et celui du cabinet du ministère des Affaires étrangères. Par contre, sur la question de l’intégration et de la diversité, je peux dire ma déception depuis deux ans. Je peux vous parler sur le manque de visibilité et de la présence des Français de l’immigration dans la société française en général.

Vous pensez avoir le soutien du cabinet du ministre des Affaires étrangères mais pas celui de l’administration du Quai d’Orsay…

Le cabinet du ministre m’a fait des propositions que je ne pouvais accepter tant que des sanctions administratives n’avaient pas été prises à l’encontre des personnes qui se sont comportées de manière discriminatoire à mon égard. Mais l’administration ne me soutient pas. Aujourd’hui, le porte-parole du Quai d’Orsay a menti ou il était mal informé. J’ai fait une dizaine de lettres et envoyé entre deux et trois cents courriels sur les difficultés liées aux discriminations au Quai d’Orsay. Mais l’administration considère qu’il n’y a pas de discrimination. C’est la raison pour laquelle j’ai porté plainte devant le procureur de la République. Et c’est lui qui va trancher. En fait, il faut dissocier l’aspect politique de l’aspect administratif dans cette affaire. Les gouvernements passent mais l’administration reste.

Ce racisme est-il lié spécifiquement à vos origines algériennes ?

Bien sûr que les Français d’origine algérienne subissent le racisme et la discrimination plus que les autres. Le rapport de la Commission nationale (consultative) des droits de l’homme montre que les Français d’origine maghrébine souffrent plus que les autres du racisme et de la discrimination.

Les Français d’origine marocaine semblent nettement moins touchés par ce que vous décrivez…

Ils sont également touchés. Mais des études montrent que les Français d’origine algérienne sont les plus touchés. Les Français d’origine marocaine viennent en deuxième position, juste avant les Français d’origine tunisienne.

Vous dites que vous n’êtes pas le seul concerné. Qui d’autre est concerné ?

J’ai reçu de nombreux témoignages de jeunes d’origine maghrébine disant par exemple que la direction des ressources humaines du Quai d’Orsay « m’a toujours interdit un poste dans un pays arabe ». Moi, je suis un fils d’un immigré algérien qui était éboueur à Aubervilliers. Je suis très fier de mes origines, du parcours de mes parents. Ces derniers sont des Algériens qui ont quitté leur pays pour des raisons économiques.  Je suis très fier aussi de mon parcours et je n’accepte pas qu’à mon âge (56 ans) on me montre du doigt sous prétexte que je suis d’origine algérienne. Cela est inadmissible et inacceptable ! Pour quelle raison je ne pourrais pas être nommé dans un pays maghrébin ? On est des Français à part entière ou on est entièrement à part ?

Vous avez travaillé dans plusieurs ministères avant d’intégrer le corps diplomatique. Avez-vous rencontré ce genre de problèmes ?

Jamais ! Il y a toujours des comportements mais je n’ai jamais eu à souffrir et être autant humilié qu’au Quai d’Orsay. Au Quai d’Orsay, Il y a une caste qui considère que je suis un étranger. Une petite caste qui ne défend pas les valeurs de la République, qui ne les respectent pas.  C’est humiliant d’entendre un haut fonctionnaire vous dire, en tête-à-tête, que vous avez un nom algérien qui est gênant pour être nommé à tel ou tel poste. On est encore aux pratiques du 18e siècle d’une aristocratie française qui refuse l’histoire. En quoi mon nom d’origine algérienne serait-il un handicap ? J’étais traité comme un Arabe. Comme un immigré. J’ai honte pour mon pays !

Comment se manifeste le racisme au Quai d’Orsay ?

Il est larvé et entretenu par des pratiques anciennes. Il est à l’image de la société française où on a le droit de dire aujourd’hui : « les Arabes dehors ! », en toute impunité. Je suis militant depuis 35 ans et je ne peux pas me taire. J’ai honte pour la France car j’aime ma France. C’était difficile de démissionner pour moi mais j’ai préféré le faire plutôt que de me taire. Pour que les gens sachent qu’il y a un problème avec les Français d’origine maghrébine et algérienne, en particulier, en France.

Vous avez adressé, en mars, une lettre au président François Hollande. Est-ce qu’il y a eu des suites ?

Je n’ai pas eu de suites. Mais j’ai des rendez-vous prévus à l’Élysée.

 


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