Entretien. Rachid Arhab : « J’ai confiance dans le génie algérien »

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Le journaliste et ancien cadre du Conseil Supérieur de l’Audiovisuel (CSA) français vient de publier un livre Pourquoi on ne vous voit plus, aux éditions Michel Lafon. Un livre témoignage qui raconte sa longue carrière de journaliste. Rachid Arhab se livre, de ses débuts à sa nomination et son départ du CSA. Il explique également dans ses écrits, pourquoi il ne travaille plus dans l’audiovisuel. Entretien.

Votre livre lance un pavé dans la mare médiatique. Pourquoi avoir choisi d’écrire ce livre maintenant ?

Durant une année après notre départ nous n’avons pas le droit de nous exprimer sur notre fonction au CSA. Mais en réalité c’est parce que beaucoup de personnes dans la rue me demandaient : « pourquoi on ne vous voit plus ? ». C’est d’ailleurs le titre de mon livre. Il était difficile de raconter une histoire difficile et complexe en quelques minutes. Jusqu’à la fin de l’année je ne peux pas travailler dans l’audiovisuel en raison de mon ancienne fonction au CSA (le CSA impose une année de carence, à l’issue d’un mandat afin d’éviter tout conflit d’intérêt, ndlr). Il fallait expliquer les mécanismes juridiques mais à travers une dimension humaine, pas froidement. J’avais donc besoin d’écrire. Ce livre m’a permis de tourner la page.

Dans ce livre on revisite votre parcours de journaliste. Une expérience riche, parfois difficile. Quelle expérience a été la plus marquante pour vous ? Pourquoi ?

Mon émission « Rendez-vous » a été sans doute la plus enrichissante. Elle m’a permis de sortir des plateaux. J’étais dans la rue chaque dimanche pour parler de l’actualité avec des personnes normales. Elle m’a permis de comprendre les personnes qui m’entourent. J’ai toujours dit que le journalisme est souvent trop loin de la réalité, car il ne se mélange pas à cette normalité. Cette émission, proche des gens, m’a énormément appris. Je ne sais pas si après cette expérience je pourrais retrouver les plateaux.

Vous écrivez dans votre livre que « le rôle de précurseur est parfois lourd à porter ». Être précurseur a également donné un poids supplémentaire à votre carrière. Avec le recul auriez-vous préféré éviter d’avoir ce statut ?

Etre précurseur n’est pas une envie chez moi. A chaque avancée, nouveau poste, les gens y voyaient un symbole, mais moi je vivais ma carrière comme une continuité pas comme une série de coups. Mais l’âge aidant je me dis que je peux continuer à éclaircir le chemin. J’ai certes été l’un des premiers, le premier Algérien à la télévision par exemple, mais je n’ai malheureusement pas été suivi. Je me dis qu’il faut désormais des avancées.

Vous expliquez également que vous étiez parfois présenté comme le modèle à suivre pour certaines familles d’origine algérienne. Pour vous, était-ce une fierté ou un poids?

Je trouvais ça lourd à porter. Je n’étais pas spécialiste de l’immigration et je ne le suis toujours pas. Mais avec le temps j’ai compris que je symbolisais ce mélange culturel, j’étais le premier à le faire. Le premier Algérien, journaliste à la télévision. Je racontais récemment que pour m’enlever ma culture algérienne il fallait m’ouvrir le ventre. On a tous ce sentiment que j’ai une responsabilité particulière, car je suis un enfant de la guerre. Une guerre qui est terminée depuis 60 ans, et la génération comme la mienne veut et doit se construire.

En vous lisant on a parfois l’impression que vous refusez votre appartenance à l’Algérie. D’un côté vous insistez durant votre carrière à ne pas prendre de pseudo, à garder votre nom et de l’autre vous refusez de porter la double nationalité…

L’Algérie c’est mon innée, et la France c’est mon acquis, comme je le dis dans mon livre. Je suis né en Algérie, de souche berbère et je suis de culture française. Pour la question de la double nationalité, je me suis longtemps posé des questions. Le seul problème aujourd’hui est que ce n’est pas commode, pour venir en Algérie je dois demander un visa, mais à l’époque lorsque j’avais seulement la nationalité algérienne, je devais également faire des demandes de visas pour d’autres pays. Maintenant je vis en France, c’est seulement une sorte de cohérence, je ne suis dans le rejet ni de l’un ni de l’autre bien au contraire. Je ne renie rien, je fais partie de ces biculturels de demain.

On doit arrêter de nous demander de choisir entre les deux pays. Les papiers de tel ou tel pays, ce n’est qu’une question administrative, la double culture ne se résume pas à des papiers. Il faut cesser de nous obliger à nous identifier à l’une d’entre elles. Quand je suis à Orly je me sens bien, quand je suis à Houari Boumediene je me sens aussi chez moi. Lorsque je suis en Algérie les deux pieds devant la tombe de ma grand-mère, je me sens sur ma terre.

L’Algérie s’apprête à réguler son audiovisuel. Quels sont les éléments les plus importants dans un processus de régulation ? Les pièges à éviter ?

Il faut savoir tout d’abord qu’aucune instance de régulation n’est parfaite. Il est nécessaire de mettre en place une instance qui n’est pas étatique mais qui travaille de manière proche avec l’Etat. Ce sera à elle de distribuer les chaînes et les fréquences grâce à une série de critères, comme c’est le cas en France. Par exemple en France, un non-européen ne peut lancer une chaîne, ce sera sûrement le même principe en Algérie. Il faut une instance qui comprenne les défis culturels et technologiques de son pays. Il est important de définir ce qu’on autorise ou non.

Pour cela il faut définir des règles de déontologie que l’on souhaite appliquer. Il est indispensable d’avoir une base saine. On doit savoir quel type de chaîne on veut, pour éviter d’avoir des chaînes qui font de la propagande. Regardez, on prend toujours les Etats-Unis comme un modèle de liberté, mais si vous prenez les chaînes de FOX, elles ne prônent pas la liberté, mais plutôt la haine. Il est important de savoir quel audiovisuel vous souhaitez, il faut des chaînes qui parlent aux Algériens. Lorsque Google TV fera sa propre télévision, ça arrivera et diffusera les mêmes programmes dans le monde entier, que deviendra notre diversité ?

Justement peut-on réguler l’audiovisuel seul, sans prendre en compte internet ?

Le web permet de faire des économies. Il faut savoir que la diffusion est ce qui coûte le plus cher à une télévision. Passer par le web a ses avantages, d’autant plus qu’avec la télédiffusion, on est dépendant du diffuseur, ou de l’instance de régulation. Mais ce système impose des critères à respecter, alors que si l’on passe par le web que deviennent-ils ? Pour moi le web est seulement une technologie. Ce que je crains c’est la propagation de l’information tous azimuts.

Il est donc indispensable d’avoir une régulation des médias audiovisuels, sans que ce soit vu comme un contrôle gouvernemental. Mais je tiens à préciser qu’il n’y a pas de modèles à suivre, mais plutôt à inventer. Chaque pays doit trouver les outils qui lui sont appropriés, une fois les difficultés politiques éliminées il faudra s’attaquer aux difficultés économiques, mais je ne crois pas que ce soit un problème en Algérie. J’ai une confiance totale dans le génie algérien.

Comment se profile l’avenir de Rachid Arhab ?

J’ai récemment déposé ma candidature pour le poste de président de Public Sénat. Mais les sénateurs ont estimé que je n’étais pas la bonne personne, je ne commenterai pas ce choix, même si je pense que c’est une erreur. Je veux désormais mener des projets qui me ressemblent, à mon image où je pourrai faire avancer le secteur. J’ai un rêve. Je voudrais créer le « Arte » du bassin méditerranéen. Je pense que tous les ingrédients sont là pour mélanger les cultures de cette région. L’idée serait de faire le même modèle que la France et l’Allemagne, deux pays anciennement en guerre, désormais unis. Aujourd’hui ce serait impensable de les voir s’affronter. Je voudrais une télévision qui symbolise la paix entre les pays de la Méditerranée. J’en rêve, j’y travaille, et vu la composante maghrébine qu’il y a en France, je pense que la rencontre des civilisations est évidente.

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