Entretien. Mohcine Belabbas : l’opposition tiendra un congrès pour préparer l’après Bouteflika

Mohcine Belabbas - Archives

Pourquoi l’opposition est-elle silencieuse depuis le dernier message du président Bouteflika ?

L’opposition a réagi au message du chef de l’État lu par un conseiller de la présidence (le 19 mars dernier) et elle a même été virulente. Mais il ne faut pas s’attendre à ce qu’elle parle tous les jours. Dans des structures telle que la CNLTD et l’Icso, il y a un règlement intérieur qui régit leur fonctionnement. Au sein de la première, les membres se réunissent chaque mois. Pour la seconde, les membres se rencontrent chaque trimestre. Ce mode de fonctionnement permet aux partis politiques d’organiser leurs propres agendas car ils ont, eux aussi, des réunions. Au RCD par exemple, nous sommes dans une conjoncture où nous organisons beaucoup d’activités sur le terrain. Quatre visites ont été effectuées, la semaine dernière, par des secrétaires nationaux dans les wilayas de Sétif, Bouira et Alger. L’activité d’un parti politique n’est pas automatiquement médiatique.

Ce discours n’a pu eu finalement un effet dissuasif ?

Au contraire ! Au RCD, nous avons organisé un conseil national le lendemain. La question qui se pose est celle de savoir pourquoi ce silence du chef de l’État après la réaction des partis politiques de l’opposition ? Le président aurait dû expliquer un peu plus son message ou charger son Premier ministre de le faire après la réaction de l’opposition et ce afin de rassurer l’opinion publique. Quand tout le monde se pose la question sur la paternité du message, cela veut dire qu’il y a un problème dans la communication officielle et cela ne sert pas les intérêts du pouvoir. Cela étant dit, ce message nous renseigne sur l’état d’esprit des tenants du pouvoir algérien et signe leur échec. Il signifie également le renoncement du chef de l’État à insister pour voir l’opposition participer aux consultations autour de son projet de révision constitutionnelle.

Vous doutez également de la « paternité » de ce message ?

J’avais parlé d’un message attribué au chef de l’État. Donc il en est responsable. Deux semaines après, il n’y a pas eu de démenti.

Dans quel état d’esprit se trouve le pouvoir ?  

Le pouvoir est dans l’indécision. Recourir à la colère dans une communication publique veut dire qu’on n’arrive pas à convaincre ou à entendre l’autre. Le chef de l’État est découragé dans sa quête de voir l’opposition participer aux consultations autour de la révision constitutionnelle. Une opposition qui estime que la priorité n’est pas dans la révision mais dans l’institutionnalisation d’une instance indépendante pour la gestion des élections avant d’aller vers une présidentielle anticipée qui sera suivie d’une révision de la Constitution. Chose que le pouvoir ne veut pas entendre.

Comment expliquez-vous cette détermination du pouvoir d’aller vers une révision de la Constitution ?

Le chef de l’État s’est piégé quand il a annoncé, le jour de son intronisation, une révision imminente de la Constitution avec des consultations qui devaient être les plus larges possibles. Même s’il n’a pas réussi à mener ces consultations et à programmer cette révision, il est très difficile pour lui de retourner en arrière aujourd’hui. D’ailleurs, depuis un moment, notamment à travers un certain nombre de quotidiens, on parle de la prochaine adoption du projet de la révision constitutionnelle et de copies remises aux présidents de l’APN et du Conseil de la nation. Cela suppose qu’il va y avoir une tentative de faire passer ce projet à travers le Parlement durant le Ramadan. Si cela se confirme, le pouvoir prouvera qu’il a peur de la rue et du peuple algérien. Il essayera de faire passer un projet de force sans débat. En fait, le chef de l’État ne veut pas comprendre que sans une consultation avec l’opposition, sans un débat au sein de la société, sans un référendum, cette révision n’aura aucun impact sur la vie politique algérienne sauf celui d’accentuer l’illégitimité des institutions et rendre illégitime la première loi du pays.

Quelle sera alors la réaction de l’opposition ?

Elle viendra en son temps. L’opposition tiendra plusieurs réunions et aura donc tout le temps de réfléchir sur les actions à entreprendre pour réagir justement à cette question relative à la révision constitutionnelle. À la CNLTD, une réunion aura lieu le 7 avril. Le congrès de l’opposition devrait avoir lieu vers la fin du mois de mai

Quel est l’objectif de ce congrès de l’opposition ?

Des membres de l’Icso ont jugé que quatre ou cinq heures de réunion étaient insuffisantes pour débattre de toutes les questions d’actualité et ont ainsi proposé de se réunir durant deux jours pour avoir le temps de discuter en profondeur de certains sujets d’actualité. Le principal sujet sera la préparation de l’après-Bouteflika. Un chef de l’État qui a été désigné à l’occasion du scrutin du 17 avril et qui, plus grave encore, malade et donc incapable de mener à bout ses missions constitutionnelles. Donc il est de l’intérêt de l’Algérie d’aller vers une présidentielle anticipée organisée par une instance indépendante.

Pourquoi débattre de l’après-Bouteflika qui ne terminera son quatrième mandat que dans quatre ans ?

D’abord, le chef de l’État vient de terminer la première année de son quatrième mandat durant laquelle il n’y a eu aucune décision politique ou action concrète. Ensuite, il est gravement malade. Chose qui induit une paralysie à tous les niveaux (présidence, gouvernement, parlement). On ne peut pas laisser le pays dans cette situation. Tout acteur politique responsable doit dire qu’il est temps de mettre la pression sur le pouvoir pour aller vers une élection présidentielle anticipée organisée par une instance indépendante.

Faire pression à travers la rue ?

Nous sommes dans une phase de sensibilisation de l’opinion publique nationale. Il est vrai qu’on a l’impression qu’elle dure parce que l’opposition est responsable et sait qu’il y a des risques que fait peser ce pouvoir s’agissant des actions de rue. Elle ne veut pas que les choses dégénèrent. C’est pour ça que nous prenons le temps nécessaire pour expliquer qu’il s’agit d’aller vers un changement pacifique et graduel durant lequel il doit y avoir un débat. Un débat auquel tous les acteurs politiques doivent être associés. Il s’agit de construire un rapport de force pour sauvegarder les intérêts de la nation algérienne mais pas dans la violence. Des intérêts qui passent par le départ de ce pouvoir.

S’agit-il aussi de reconstruire un lien avec la population qui ne croit plus en l’opposition ?

Je ne crois pas que l’opinion nationale ne croit pas dans l’opposition. Bien au contraire, les citoyens s’impliquent de plus en plus dans le combat politique. Certains le font au sein des partis politiques et d’autres à travers la société civile. Nous avons vu combien de structures ont été créées durant l’année 2014 pour s’opposer au pouvoir. Mais le travail d’opposition reste très difficile dans un pays où une simple réunion dans une petite salle n’est pas autorisée, où les médias publics boycottent les partis de l’opposition et où les militants subissent des pressions au quotidien. Cela dit, pour la première fois, des acteurs de la société civile invitent des partis politiques à s’impliquer dans leurs actions et leurs donnent la parole. En fait, partout en Algérie, les citoyens ont compris que les problèmes qui se posent sont d’abord d’ordre politique parce que leur règlement relève d’une décision politique.

Les procès de Sonatrach I et de l’autoroute Est-Ouest ont été programmés avant d’être reportés. Peut-on parler d’une réelle volonté de lutter contre la corruption ?

Pas du tout ! Je pense que la programmation de ces procès est une réponse à la pression exercée par l’opposition qui commençait à revenir à la charge sur la gestion des dossiers de corruption. Ils (le pouvoir, NDLR) se sont dits : pourquoi pas ne pas annoncer des dates pour les procès puisqu’on peut toujours les reporter ? Chose qu’ils ont déjà l’habitude de faire. Ces dossiers ne seront pas réglés durant l’année 2015. Ce qui est attendu du pouvoir, ce sont des messages forts. D’abord, il s’agit d’en finir avec le procès Khalifa dans les plus brefs délais puisque le principal accusé est en Algérie depuis plus d’une année. Ensuite, nous avons demandé, en tant que parti politique, à ce qu’une procédure soit entamée en vue de l’extradition de l’ancien ministre de l’Énergie Chakib Khelil car il doit être entendu par la justice algérienne dans le cadre de l’affaire Sonatrach I et celle de Sonatrach II.

Le procureur de la république avait annoncé le lancement d’un mandat d’arrêt international contre Chakib Khelil ?

La presse a fait état d’une procédure qui a été entamée mais à laquelle le pouvoir algérien a finalement renoncé. Au lendemain du retour du chef de l’État du Val-de-Grâce, il est apparu à tout le monde qu’il n’y avait pas d’accord au sommet de l’État sur le cas de Chakib Khelil. Abdelaziz Bouteflika a donné l’impression qu’il refusait que Chakib Khelil soit entendu par la justice.

Certains avocats de la défense constitués dans ces affaires estiment que le contexte politique n’est pas favorable pour la tenue d’un procès juste et équitable…

Ce sont des arguments qui tiennent la route, qui sont crédibles et qui doivent être entendus. Dans tous les cas, nous ne sommes pas dans un État où la justice est indépendante. Pire, nous ne sommes pas dans un pays où les institutions sont légitimes. Plus grave encore, le chef de l’État a démontré, quand il est rentré du Val-de-Grâce en 2013, qu’il ne va pas laisser faire la justice puisqu’il a créé tout un problème sur le fait qu’une procédure soit lancée contre Chakib Khelil durant son absence.


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