Entretien avec José Bové : « Il faut que le gouvernement algérien arrête de s’entêter sur le gaz de schiste »

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Député français au Parlement européen, José Bové est également un célèbre militant altermondialiste connu pour son combat contre les OGM. Entretien.

Vous êtes opposé à l’exploitation du gaz de schiste en Algérie. Est-ce que le débat autour de cette question est tranché vu que les techniques continuent à évoluer ?

Il faut arrêter de dire que les techniques évoluent parce que cela n’est pas vrai. La preuve éclatante est la présence de Halliburton à In Salah. En fait, la fracturation hydraulique est la seule technique industriellement utilisable (pour l’extraction du gaz de schiste). Et la seule firme qui sait utiliser cette technique est l’américaine Halliburton.

La question posée par les manifestants à In Salah aujourd’hui est celle qui a été posée chez nous et dans d’autres pays européens : est-ce que la fracturation hydraulique ne constitue pas une menace pour les eaux souterraines et les eaux de surface ? La réponse est claire : la fracturation hydraulique est une véritable menace et c’est pour cela que la France s’est dotée d’une loi qui interdit l’utilisation de cette technique. À In Salah, on est dans une zone d’oasis avec des quantités d’eau limitées. Exploiter le gaz de schiste veut dire chasser tous les habitants de la ville et de la région et c’est évidemment inacceptable. Aujourd’hui, la remise en cause du gaz de schiste est quelque chose qui est absolument indispensable.

Mais de nombreux pays dont les Etats-Unis, le Canada et l’Arabie Saoudite exploitent le gaz de schiste…

La majorité des scientifiques reconnaissent la dangerosité de cette technique (fracturation hydraulique). En Europe, aucun pays n’est véritablement entré dans la phase de l’exploitation et il y en a très peu où la prospection risque d’avoir lieu. Dans les pays où il y aurait de grandes réserves comme la Pologne, les entreprises sont parties. En Bulgarie, c’est interdit. Donc au niveau européen, on ne peut pas dire que ça soit un succès. Même aux Etats-Unis, de plus en plus d’Etats interdisent l’utilisation de la fracturation hydraulique. On constate un frein concernant l’exploration qui est dû non seulement aux coûts mais aussi à la mobilisation dans un certain nombre d’Etats dont le Texas qui est en train de remettre en cause la fracturation hydraulique. Au Canada, ça dépend des Etats. Le Québec, par exemple, a mis en place un moratoire. Je pense qu’on est à un tournant et que le gaz de schiste n’a aucun avenir dans le monde.

Le gouvernement algérien parle d’exploration et assure que l’exploitation n’est pas encore à l’ordre du jour…

On ne peut pas faire de l’exploration sans fracturation hydraulique. Donc, il n’y aucune différence entre exploration et exploitation quand on parle de gaz de schiste. Et à partir du moment où on fracture pour explorer, on met en péril les nappes aquifères et les autres surfaces.

Vous êtes très critique par rapport à Total. Que fait exactement la compagnie pétrolière française dans le domaine du gaz de schiste en Algérie ?

Total ambitionnait, il y a quelques années, de se positionner clairement dans le domaine du gaz de schiste. La compagnie avait essayé de lancer des projets en France avant d’en lancer en Pologne puis de prendre des parts aux Etats-Unis. En fait, ils ont essayé d’aller un peu partout. Or, Total était parfaitement consciente des risques environnementaux. Après avoir arrêté en France et s’être retirée de la Pologne, je pense qu’on espérait qu’un contexte politique plus favorable en Algérie leur permettrait d’avancer.

Aujourd’hui, comme les autres grandes compagnies, ça m’étonnerait que Total continue (dans ces projets) parce que les coûts d’exploitation sont beaucoup plus élevés que dans les hydrocarbures conventionnels. Et pour ces entreprises qui perdent de l’argent avec la baisse des prix des hydrocarbures au niveau international, le premier retrait se fait sur (les projets de) gaz de schiste. Ce sont les premiers investissements dans lesquels ils coupent dans les financements et c’est ce qu’a clairement indiqué Total.

Avez-vous des éléments selon lesquels Total est ou était présente dans l’exploration du gaz de schiste en Algérie ?

Au départ, Total était présente dans le domaine de gaz de schiste. À ma connaissance, le travail a été complètement repris par Sonatrach. Donc ils ont été au point de départ pour le lancement du projet (après 2010) et je pense qu’ils se sont mis, eux-mêmes, en sommeil en Algérie.

Est-ce que le gouvernement français a joué un rôle ?

Je n’ai pas d’éléments là-dessus. Mais quand on parle d’hydrocarbures, les liens entre le pouvoir politique et le pouvoir économique sont étroits. Disons que le gouvernement français a été au courant et a certainement soutenu Total dans cette initiative. Je suis à peu près certain qu’ils ont même servi d’intermédiaire avec le gouvernement algérien.

Lors de la visite du président Hollande, Laurent Fabius annonçait l’exploitation du gaz de schiste en Algérie…

Je pense que Total est venu avec la bénédiction des gouvernements français et algérien.

Comptez-vous mener des actions concrètes pour soutenir les manifestants d’In Salah ?

Pour l’instant, il y a beaucoup de soutiens qui se manifestent à travers les appels au niveau des réseaux européens et nationaux. L’information est en train de circuler de manière très forte au niveau de tous les collectifs pour que les gens se mobilisent en France et dans tous les pays européens pour les opposants d’In Salah et de l’ensemble de l’Algérie.

Avec la répression qu’il y a eu (au cours de ces dernières 48 heures, ndlr), il faudra peut-être qu’on passe à un stade supérieur. Il faut que le gouvernement algérien arrête de s’entêter et doit suspendre de manière très claire les projets de prospection. Mais l’émergence d’une vraie mobilisation sur tout le territoire autour d’une question environnementale pour la première fois en Algérie est peut être la bonne nouvelle de cette histoire tragique d’In Salah.


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