ENTRETIEN. Abderrazak Mokri : « L’exploitation du gaz de schiste est en cours »

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Vous allez manifester contre le gaz de schiste. Pourquoi ?

Nous sommes contre l’exploitation du gaz de schiste car elle représente un grand danger sur une ressource très importante qu’est l’eau. Et puis, il s’agit d’un projet qui n’a, économiquement, pas de rendement. Demain, nous allons aussi manifester notre solidarité avec nos concitoyens du Sud. Si on se tait sur la protestation des citoyens algériens au Sud, on contribue, en quelque sorte, à l’édification d’une nouvelle identité qui met en péril l’unité nationale. Donc, il faut que les citoyens du Sud sachent que leurs concitoyens du nord sont solidaires avec eux.

Est-ce que vous vous attendez à une grande mobilisation demain ?

La question (de la mobilisation) ne nous inquiète pas. L’action est symbolique et l’affluence est quelque chose qu’on ne contrôle pas et qu’on ne peut pas prédire. Si cette manifestation est autorisée, je pense qu’il y aura beaucoup de monde. Si Alger est quadrillée et que les Algérois sont empêchés d’arriver à la Grande Poste, le pouvoir montrera, une fois de plus, son affolement et sa faiblesse.

Pourquoi l’opposition peine à organiser une grande marche ?

La réponse est simple : les marches ne sont pas autorisées.

La marche « Je suis Mohamed », à laquelle des milliers de personnes avaient pris part, n’était pas autorisée…

Ce n’est pas la même chose. Il faut savoir qu’il y a eu manipulation dans cette marche et dans celle organisée en soutien à Gaza (en été). Les participants pensaient qu’il s’agissait de marches autorisées. Mais le jour même, Alger a été quadrillée. Mais il est vrai que certaines questions mobilisent plus que d’autres.

Qui était derrière cette manipulation ? Le pouvoir ?

En Algérie, il y a beaucoup de pouvoirs au sein du pouvoir.

Quel était l’objectif de cette manipulation ?

Lorsqu’il s’agit de Gaza par exemple, le pouvoir éprouve une certaine gêne à empêcher une marche. Et l’Algérie est le pays de l’informel. Je veux dire que le pouvoir peut faire preuve de tolérance mais sans donner d’autorisation lorsqu’il est dans la gêne.

Pourquoi avez-vous appelé à des manifestations dans les 48 wilayas…

Pour donner du sens à l’unité nationale. L’exploitation du gaz de schiste est une question qui concerne tout le pays.

Y a-t-il vraiment un danger sur l’unité nationale ?

Lorsque la population est délaissée, non écoutée et non respectée et ses droits bafoués, elle ne réfléchit plus en termes de pays ou de Nation mais en termes de tribu et de région. Lorsque la citoyenneté est bafouée, le patriotisme est en danger.

D’autres pays exploitent le gaz de schiste à l’image des États-Unis et de l’Arabie Saoudite. Pourquoi l’Algérie serait l’exception ?

Aux États-Unis par exemple, ce sont les grands hommes d’affaires qui décident avant les institutions car ce pays est une référence en matière de capitalisme sauvage. En Pennsylvanie, l’exploitation du gaz de schiste a fait des dégâts importants. Quant à l’Arabie Saoudite, ce n’est pas un pays démocratique. Lorsqu’un dirigeant saoudien veut faire quelque chose, il ne demande pas l’avis du citoyen. En Algérie, on veut bâtir un pays avec une société active, des partis politiques qui ont une certaine conscience patriotique, des syndicats et des associations qui ont un poids face au pouvoir en place.

Vos députés n’avaient pas protesté lors de l’adoption de nouvelle loi sur les hydrocarbures autorisant l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels. Pourquoi?

D’abord, on ne représente pas la majorité au sein de l’APN. Ensuite, nos députés se sont abstenus car le gaz de schiste est une question scientifique, de notre point de vue, avant d’être une question politique. Il faut avoir une certitude scientifique sur l’absence de danger sur l’environnement et la nappe phréatique. Ensuite, avec ce projet de loi, il ne s’agissait pas d’exploitation mais d’exploration.

Qu’est-ce qui a changé depuis ?

A In Salah, il s’agit d’exploitation du gaz de schiste aujourd’hui et non d’exploration.

Le président Bouteflika a pourtant affirmé que l’exploitation n’était pas encore à l’ordre du jour….

Sans rentrer dans les détails, je sais qu’un responsable politique avait clairement indiqué aux députés qu’on est en train d’exploiter le gaz de schiste. Cela s’est passé au Parlement et les journalistes n’étaient pas présents. Personnellement, j’ai d’autres informations (sur le sujet) mais je préfère me contenter de cela pour le moment.

Qui est ce responsable politique?

Je ne peux pas vous dire qui est ce responsable politique et je ne veux pas rentrer dans les détails.

Pourquoi ?

C’est une question qui va être clarifiée prochainement. Dans tous les cas, des citoyens du Sud travaillent avec des scientifiques sur la question et les opposants sollicitent aussi des experts. Et ces derniers nous ont affirmé que l’Algérie était en train d’exploiter le gaz de schiste. Donc, je vous confirme que l’exploitation de gaz de schiste est en cours. Ce qui est illégal !

Donc vous n’êtes pas contre l’exploration mais contre l’exploitation du gaz de schiste ?

Nous ne sommes pas contre l’exploration mais contre l’exploitation. Cela dit, maintenant, il s’agit d’un problème de confiance. Même pour l’exploration, il faut en discuter d’abord.

Quelles sont les autres options dont dispose l’Algérie ?

Les ressources humaines, la bonne gouvernance et les potentialités dans le domaine de l’agriculture, du tourisme, de l’industrie. Ce n’est pas une question de ressources mais de gouvernance. Le pouvoir en Algérie a pris l’habitude de s’appuyer sur la rente facile, mais il ne fournit pas l’effort de développer une vision économique et de gérer convenablement le pays.

Mokri ITW


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