La chronique de Benchicou – Rachat de Djezzy, la forfaiture de trop (2e partie)

Benchicou

Aujourd’hui encore les propres collaborateurs du président algérien se demandent pourquoi le rachat de Djezzy par l’État algérien était devenu la préoccupation majeure du chef de l’État au point qu’elle a fini par constituer la première grande décision du président Fraîchement réélu pour un quatrième mandat ! L’annonce officielle du rachat de Djezzy par le gouvernement algérien a été faite, en effet, quelque heures après la fermeture des bureaux de vote. Au petit matin du vendredi 18 avril 2014, lendemain des élections, jour férié en Algérie, un pli mystérieux arrivait au siège de l’agence gouvernementale Algérie presse service (APS) avec mention « urgent ». Vers les coups de huit heures, la dépêche était diffusée : le pouvoir algérien version Bouteflika IV annonçait  la fin de son conflit avec l’opérateur de téléphonie mobile, Djezzy.

L’opinion avait la tête ailleurs, l’information était passée inaperçue. Mais le message n’était pas destiné aux Algériens. Il était adressé à l’autre partie, les Russes et les Norvégiens de la firme Vimpelcom qui contrôle Djezzy depuis 2012 et, surtout, à Naguib Sawiris, patron d’Orascom, qui menaçait d’intenter une procédure d’arbitrage international à l’encontre de l’Algérie : « Peu importe le temps que cela prendra, j’en fais une question de principe. Le gouvernement algérien m’a fait perdre beaucoup. Ils m’ont empêché d’importer les marchandises dont j’avais besoin pour la société, interdit de rapatrier mes dividendes et de faire de la publicité sur les télévisions publiques, ils ont puni les banques qui me finançaient. Ce n’est pas une manière de traiter des investisseurs étrangers. J’étais en train de construire le premier grand opérateur arabe global. Le gouvernement algérien a fait échouer mon rêve ».

En affirmant publiquement sa décision de racheter la filiale algérienne, le président algérien s’assurait du non-recours à l’arbitrage international commun. Une des clauses de l’accord de rachat stipule, en effet, que la partie vendeuse renonçait à toute plainte contre l’Algérie devant les instances internationales.

De quoi avaient donc peur le président algérien et son clan ? D’un déballage public sur cette sombre aventure entre un pays souverain et une coterie arabe ? Que nous cachent Bouteflika et son clan ?

La république se couchait devant un quarteron d’affairistes.

Bouteflika vient de nous plonger dans l’univers de  Jonathan Swift et rappelé au monde, qu’à bien des égards, l’Algérie c’est un peu l’île de Lilliput, dont les habitants ne mesurent qu’environ six pouces de haut mais ont une telle idée d’eux-mêmes qu’ils finissent par se croire invincibles. Et bien entendu, à consacrer leur temps à vouloir faire la guerre. Il faut dire que, n’ayant pas d’autres ennemis qu’eux-mêmes, les habitants de Lilliput n’expérimentaient leur puissance guerrière qu’entre eux, se divisant en deux camps, pour les besoins pratiques de la belligérance, Gros-boutiens et Petits-boutiens, et s’inventant un motif indiscutable d’animosité : un roi a voulu imposer le côté par lequel devaient être cassés les œufs à la coque.

C’est au plus fort du syndrome de l’invincibilité lilliputienne , En effet, que Bouteflika, bon prince, redevable à l’égard de ceux qui l’ont aidé à reconquérir le trône, offrit, durant l’année 2000, le cadeau Djezzy à un lobby arabe qui l’a rétrocédé à l’Égyptien Naguib Sawiris, patron du groupe Orascom (lire la première partie de la chronique). Le clan Bouteflika a aidé Sawiris à remporter la deuxième licence de téléphonie mobile en Algérie, lors d’un semblant d’appel d’offres public, pour un montant de 737 millions de dollars.

Il crée Djezzy, devenu le premier opérateur mobile du pays avec 16 millions de clients. Le pactole ! Sawiris  décrochera, toujours grâce à l’aide des autorités algériennes, une autre timbale exceptionnelle sur le dos de l’Algérie en revendant, en septembre 2007, un deuxième gros cadeau de Bouteflika, les deux cimenteries de M’sila et Mascara. Pour Djezzy comme pour les deux cimenteries, Sawiris, fort de l’appui de Bouteflika, a bénéficié d’un montage financier de banques …algériennes !

Selon un confrère averti, jamais une entreprise algérienne ou étrangère n’a mobilisé autant de banques de renom pour concéder un montant aussi important. Orascom l’a fait. Le miracle a, du reste, arraché à l’homme d’affaires égyptien cette mémorable exclamation : « C’est un rêve qui se réalise ! ».

L’épisode est symptomatique des ravages mégalomaniaques qu’engendre le pouvoir absolu : Bouteflika a pu se servir des deniers de l’État pour des opérations de marketing, personnelles pour la simple et dramatique raison qu’il a ignoré puis méprisé et, enfin, brisé les fragiles institutions de concertation et de contrôle qu’il avait trouvées et qui tenaient lieu d’État. D’où la facilité avec laquelle l’ancien ministre du pétrole et sa bande à Bonnot ont détourné les centaines de millions de dollars qui revenaient au Trésor algérien.

Par la suite, Naguib Sawiris, patron d’Orascom, par son avidité, était devenu encombrant pour le président algérien qui a dû renoncer à le protéger face au fisc algérien qui lui a finalement adressé une facture très lourde qui l’a contraint au départ et à vendre Djezzy. La vente au français Lafarge des deux cimenteries généreusement offertes à Orascom soulève la colère d’une partie du pouvoir algérien et porte un coup aux relations entre Bouteflika et Sawiris. Ce dernier est définitivement déclaré indésirable en Algérie à l’automne 2009, à la suite des tumultueuses retombées du match de qualification pour la Coupe du monde de football, Algérie-Égypte et de la crise qui s’en est suivie.

La défaite de l’Equipe nationale au Caire, le mauvais traitement des supporters égyptiens, le silence coupable des autorités égyptiennes et de la police, finissent par faire survolter l’opinion algérienne. Djezzy devenu vitrine par excellence de la traîtresse Égypte, est attaqué de toutes parts, ses locaux sont détruits, son personnel agressé… Les jours de Sawiris en Algérie étaient comptés. Il trouve un acheteur providentiel, le russo-norvégien Vimpelcom qui rachète Orascom.

En avril 2012, les actionnaires de Djezzy recourent à l’arbitrage international. La suite on la connait, une procédure qui s’annonce défavorable à la partie algérienne.

Que détenaient-ils donc sur les autorités algériennes pour que ces dernières acceptent non seulement de débourser la faramineuse somme de 2,6 milliards de dollars, mais, en sus, autorisent Djezzy à faire sortir les dividendes en retard (1,862 milliard de dollars) et de ne verser au fisc algérien que 1,3 milliard de dollars au lieu des 7 milliards demandés par l’administration des impôts. « L’État algérien vient de renoncer à un attribut fondamental de sa souveraineté qui est le recouvrement de l’impôt », commente l’avocat d’affaires Lezzar qui objecte par ailleurs : «Je ne comprends pas l’audace d’un investisseur coupable de tant d’irrégularités. Tout comme je ne comprends pas, non plus, cette peur ou panique (feinte ou réelle) des autorités algériennes devant les procédures d’arbitrage. Il est quand même paradoxal que le fisc, nanti de privilèges et de facilités d’exécution judicaires forcée, n’ait pas réussi, pendant toutes ces années, à faire payer OTA. L’Etat semble négocier sa souveraineté fiscale. Pourquoi tant de faiblesses ? ».

Mais en plus de toutes ces concessions à l’homme d’affaires égyptien, il y a celles dont on ne parle pas, des concessions aux Russes, l’autre volet de cette sidérante affaire (à voir dans la prochaine chronique).

Bienvenue dans l’île de Lilliput, maître !

 

À suivre)


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