La chronique de Benchicou. Leur José Garçon et nos petits pharisiens (2)

Benchicou

Soit. Le temps a fini par donner tort à tous ceux qui, parmi les faiseurs d’opinion de France ou d’Amérique, s’étaient amusés à roucouler avec les islamistes et à vilipender ceux qui, en Algérie, leur tenaient tête. Le prix de cette forfaiture est suffisamment lourd pour que l’on ne s’y étale outre mesure. C’est dans le deuil et la consternation qu’une certaine France réalise qu’elle avait couvé le monstre qui l’a mordue et qu’elle se dit redevable envers ses morts d’une nouvelle lucidité. Cabu vaut bien une rédemption nationale. Passons.

Mais qui fera le mea-culpa de notre félonie ? Le plaisir que semble éprouver une certaine élite algérienne à faire le procès de l’hypocrisie occidentale camoufle la scélératesse algérienne. Nous avons eu, durant les années de terrorisme, nos Judas et nos Ponce Pilate, nos félons et nos procureurs, des créatures bien algériennes qui ont louvoyé, intrigué, anobli les islamistes, déculpabilisant les tueurs intégristes, renvoyant dos à dos « assassins » et « éradicateurs », fiers de rendre ce qu’ils croyaient être la justice de Salomon et qui n’était en vérité qu’une façon de choisir le persécuteur aux dépens du persécuté.

Ah, vous qui avez tout oublié, vous qui avez, comme dit Proust, peint le passé, tels de mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité, rappelez-vous ce temps pas très lointain où l’on couvrait les crimes islamistes officiellement pour soigner les statistiques de la Concorde nationale et plaire aux assassins ! Il ne suffisait pas aux Algériens de périr sous la lame islamiste, il leur fallait aussi s’expliquer sur leurs méfaits : dans quel but se sont-ils laissés tuer en pleine Concorde civile ?

C’est retors, un mort ! Il ne restait plus, alors, qu’à les enterrer clandestinement, de nuit si possible, comme d’embarrassants cadavres sur lesquels se pratiquait l’omerta, avec ce cri de colère pour toute oraison funèbre : «  Allez-vous faire égorger ailleurs ! ».

C’était le temps, rappelons-nous, où les dirigeants d’un parti dit démocrate mais allié à Bouteflika, se répandaient en invectives envers Le Matin, coupable, à leurs yeux, de saboter la Concorde par son obstination à toujours consacrer sa première page aux tueries perpétrées par les islamistes.

C’était le temps où la télévision officielle, qui n’était pas dirigée par José Garçon mais par un Algérien pur jus, Habib Chawki, donnant l’exemple d’une canaillerie réussie, oubliait de signaler un carnage perpétré par des islamistes à quelques kilomètres d’Alger, préférant égarer la carte de l’Algérie, ouvrir sur la  Palestine, s’étendre généreusement sur la Yougoslavie, bifurquer obligatoirement par le séjour de quelque officiel étranger sur le sol national et terminer le tout par des nouvelles sportives.

Ah, qu’ils savaient donc s’y prendre, toutes ces crapules de la censure, dans la dissimulation des crimes intégristes, si adroits que l’on finit par se dire qu’ils ont fait cela toute leur minable existence, et peut-être même dans une vie antérieure. On les devine dormant  tranquillement le soir après avoir couvert les crimes du  GIA de leur silence, repus de mensonges, fiers d’avoir contenté le chef. Et voilà qu’en 2015,  un dirigeant islamiste les tire de leur sommeil en déclarant à la face du monde que le terrorisme se poursuivrait en Algérie jusqu’à l’édification d’un Etat islamiste !

Tout ça pour ça !

Il est des forfaitures que rien n’efface, surtout pas celles-là, ces fourbes prodigalités qui rappellent celles par lesquelles un courtisan croit pouvoir acheter les faveurs d’une femme et qui finissent par donner aux femmes la mesure de ce qu’elles peuvent exiger…

Les chefs islamistes ont compris qu’ils peuvent tout obtenir d’un pouvoir et d’une élite sans repères, sans âme et sans convictions, qui pratiquent la duplicité et la subornation des esprits comme seule stratégie politique. Nous ne semblons liés par aucun des serments faits aux martyrs, vite déposés sur des tombes, celles-là dont on ne se  doutait pas qu’elles se mettraient à parler un jour : pourquoi avoir promis aux morts de les continuer et d’épargner leur terre de la graine intégriste quand, vingt ans après, des chefs islamistes appellent publiquement à tuer un écrivain algérien nominé au Goncourt et revendiquent ouvertement de vouloir substituer, par les armes, à la République, un État islamique ?

Le pays est inapte à déjouer les plans du commandement islamiste parce que le pouvoir en place et une bonne partie de l’opposition dite républicaine, liés par une espèce de complicité objective, semblent dépourvus de cette foi décisive au-delà de laquelle rien n’est plus négociable. Ils paraissent ne croire en rien, je veux dire en rien qui, à leurs yeux, vaudrait la peine qu’on se batte. L’avidité, chez ceux qui n’ont placé que leur fauteuil dans le sens de l’histoire, a remplacé l’ambition, la ruse et la vision. Il est jusqu’à l’opposition pour choisir le camp des égorgeurs tout en proclamant le faire au nom des égorgés !

Les principales personnalités dites républicaines ont non seulement invité les dirigeants du FIS à leur « Conférence nationale de transition démocratique » mais ils leur ont fait l’amitié de les classer parmi « les personnalités de l’opposition et les acteurs de la société civile ». Qu’importe si ces « personnalités de l’opposition et de la société civile » disposent d’une armée éparpillée dans les maquis algériens et comptent imposer par la guerre, un état islamique. L’essentiel, n’est-ce pas, pour nos leaders démocrates est d’avoir expérimenté le ridicule en politique et prouver qu’il ne tue pas. Du moins, pas autant que leurs invités islamistes.

C’est le grand privilège des survivants de pouvoir disposer du prestige des morts.

Le réquisitoire adressé à l’Europe devient une affligeante tartufferie quand il est prononcé  par ceux-là même qui ont marché sur la dépouille des martyrs. Le moment est parfait, pensent-ils, pour récupérer un peu de l’éclat des martyrs et se réclamer de cette guerre qui n’était, dans leur bouche, qu’une banale affaire de bouseux s’entre-tuant, en qamis ou en uniforme, rien que de braves péquenots qui se battent loin des beaux quartiers, les uns croyant le faire pour Dieu, les autres pour la République.

Après « Je suis Charlie », les voilà qui plastronnent : « Je suis Saheb, Sellami, Amel, Nour-El-Houda, … » Il est jusqu’à la coterie qui a choisi de se mettre au service de la kleptocratie bouteflikienne pour se revendiquer des martyrs, aggravant la confusion dans les esprits et violant la mémoire des disparus.

Rien chez Benyounès, Toumi ou Sidi Said ne rappelle plus Saheb, Sellami Amel Nour-El-Houda, Tigziri ou Abdelhak Benhamouda. Ces hommes et ces femmes sont inimitables parce qu’eux seuls, dans les années de ténèbres, avaient entretenu une flamme d’espoir dont nous vivons aujourd’hui. Eux seuls voulaient quelque chose quand, autour d’eux, on ne savait pas au juste ce qu’on voulait.

Ces derniers auraient préféré continuer à vivre mais, précisément parce qu’ils savent le prix de la vie, ils ont accepté une mort dans la lucidité, pour épargner à ceux qu’ils aiment la déchéance d’une vie dans la servitude. Nos anciens « démocrates », eux, qu’ils s’appellent Benyounès, Toumi ou Sidi Said, ont choisi délibérément la vie dans la servitude. Il faut toujours de bien terribles raisons pour choisir de renoncer à la vie en l’offrant à une cause supérieure, il en faut d’aussi terribles pour choisir de renoncer à la vie en l’offrant à une mafia.

Rassurons-nous : aucun de ces simulacres ne résistera au temps ni à la vérité. La vérité, bien entendu, reste à construire, comme tout le reste. Gardons cependant à l’esprit que le privilège du mensonge est de toujours vaincre celui qui prétend se servir de lui. « C’est pourquoi les serviteurs de Dieu et les amants de l’homme trahissent Dieu et l’homme dès l’instant qu’ils consentent au mensonge pour des raisons qu’ils croient supérieures. » (Camus).

Le combat anti-intégriste n’a nul besoin de filouterie ni d’obséquiosité pour s’imposer. Il est légitimé par ses propres martyrs. Rien n’est donné ni promis en effet, mais tout est possible à qui accepte d’entreprendre et de risquer. C’est ce pari qu’ont tenu, pour nous, les hommes et les femmes qui ont résisté à l’islamisme.

Alors, retenons-le, ce sacrifice n’est pas un bien vacant. Il appartient à ceux qui ont fait serment aux morts de les continuer.

 


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