Entretien. Mohcine Belabbas, président du RCD : « Bouteflika est disqualifié par rapport à la révision de la Constitution »

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Mohcine Belabbas est le président du RCD et fait partie de la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD). Dans cet entretien, il revient sur la révision constitutionnelle, le décès du wali d’Annaba.

Le président Bouteflika a lancé un appel à l’opposition pour participer aux consultations autour de la révision constitutionnelle.   

D’abord, le Président reconnaît à travers ce message que les précédentes consultations ont échoué, notamment celles organisées en mai et juin 2014 (et menées par Ahmed Ouyahia). Ensuite, il est conscient que cette révision n’aura aucun sens sans de larges consultations auxquelles prendront part tous les acteurs politiques crédibles. Enfin, le chef de l’État continue à croire qu’il peut gagner du temps et impliquer quelques acteurs qui ont boycotté au mois de juin. Mais je pense que le problème sera toujours posé parce qu’il y aura toujours des acteurs qui ne participeront pas à ces consultations.

Donc il s’agit d’un aveu d’échec ?  

Oui, c’est un aveu d’échec ! En 2014, une force s’est imposée sur la scène politique nationale : la Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique (CNLTD) et puis l’Instance de consultation et de suivi (de l’opposition). Pour l’essentiel, ces acteurs n’ont pas pris part aux consultations autour de la révision constitutionnelle. Donc, le pouvoir ne peut pas prétendre que l’opposition a participé.

Le Président a affirmé que cette révision n’est pas au service d’un pouvoir ou d’un régime. Est-ce que c’est crédible ?

Il ne suffit pas de le dire. L’actuel chef de l’État est disqualifié par rapport à la révision de la Loi fondamentale à partir du moment où il est coupable du viol de la Constitution en 2008. Un viol qui a consacré beaucoup de régressions, notamment concernant la limitation des mandats. Et tout le monde sait que, depuis 1962, les révisions de la Constitution en Algérie, venant d’un pouvoir illégitime, ont essentiellement produit des constitutions au service du pouvoir et du régime. Et comme pour toutes ses initiatives, le pouvoir fait tout pour impliquer le maximum d’acteurs (politiques, NDLR). On se retrouve ensuite face aux mêmes résultats. La plus récente expérience est celle de 2011 quand le Président avait promis plusieurs réformes politiques. On a eu par la suite des lois qui ont consacré la régression. L’opposition a démontré définitivement qu’elle ne donne aucun crédit aux initiatives et aux propos des acteurs du pouvoir.

Vous refuserez donc de prendre part à de nouvelles consultations ?

Le RCD continuera à boycotter les consultations autour de la révision constitutionnelle. Je vous rappelle que nous avons établi un calendrier pour les mois à venir durant la dernière réunion de l’instance de consultation et de suivi : commencer par l’institutionnalisation d’une instance indépendante pour la gestion des élections, aller vers des présidentielles anticipées et puis réviser la Constitution. S’il y a un point sur lequel l’essentiel de la classe politique est d’accord, c’est l’institutionnalisation de l’instance. Il reste la manière et il y en a plusieurs. La plus rapide est un décret présidentiel. Si le pouvoir voulait montrer qu’il est de bonne foi, il commencerait par répondre à cette revendication.

Comment comptez-vous amener le pouvoir à  accepter la création d’une instance pour la gestion des élections et à organiser une présidentielle anticipée ?

Nous continuons à mettre la pression sur le pouvoir. Et nous considérons que nous avons déjà réussi puisque le chef de l’État vient de faire un aveu d’échec quant à cette démarche. Nous essayons de construire des structures multipartites dans lesquelles siège l’opposition, y compris des personnalités nationales. Nous essayons également d’organiser régulièrement des actions à travers les wilayas du pays. En 2014, plusieurs meetings, colloques, universités d’été ont été organisées et ont porté pour l’essentiel sur l’explication de la transition démocratique et l’importance de la construction de groupes pluriels pour peser contre ce pouvoir.

Le Président prépare une révision constitutionnelle, reçoit des responsables étrangers et tient des Conseils de ministres. Peut-on réellement parler de vacance du pouvoir ?

Bien sûr qu’on peut parler de vacance du pouvoir. Il ne suffit pas de faire des apparitions symboliques ou publier ce qu’ils ont appelé un discours à la Nation dans un communiqué de Conseil des ministres, pour dire qu’il n’y a pas de vacance. Si on s’amuse à revoir les missions du chef de l’État prévues par la Constitution, on remarque qu’il est pratiquement absent. Censé être le représentant officiel de l’État algérien au niveau international, il n’a participé à aucune rencontre internationale depuis plus de deux ans. Il fallait attendre une année pour qu’il s’exprime et pour dire : « Nous sommes inquiets » alors que nous avons commencé à dire que nous allons faire face à une crise depuis plus d’une année. Et ceux qui parlaient en son nom affirmaient qu’il n’y a aucun risque et que le prix ne va pas baisser au-dessous de 80 dollars. En 2014, il y a eu quatre Conseils des ministres. Habituellement, le nombre de ce genre de réunions dépasse les 20 par an. À l’Assemblée nationale, il y a donc eu une cinquantaine ou soixantaine de lois adoptées alors que des pays adoptent plus d’un millier de lois par an. Et puis, il y a vacance de pouvoir quand on voit que l’essentiel des affaires de corruption trainent depuis plus de 15 ans et qu’aucune n’a abouti. Qu’est-ce que la vacance si ce n’est le fait que ces trois piliers du pouvoir (exécutif, législatif, judiciaire) soient incapables de remplir certaines missions dont ils ont la charge.

Comment expliquez-vous le retard accusé dans le traitement de certaines affaires de corruption, dont celle de Sonatrach ou de l’autoroute Est-Ouest ?

Outre la vacance du pouvoir, une grande partie de ceux qui sont impliqués dans ces affaires font partie des clans qui nous gouvernent en ce moment. Chacun essaie des préserver les membres de son clan. Dans tous les cas, je pense que la justice doit être rendue tôt au tard.

Êtes-vous satisfait de la réponse apportée par le ministre de l’Intérieur concernant l’affaire du décès du wali d’Annaba ?

Au RCD, nous n’avons, à aucun moment, indiqué que le wali d’Annaba avait subi des pressions. Nous avons fait état des rumeurs qui circulent un peu partout sur les circonstances qui ont présidé à son décès et nous avons jugé qu’il était important qu’une commission d’enquête soit installée pour mettre fin à ces rumeurs. Nous n’avons pas demandé une réponse du ministre. Ce dernier n’a pas la qualité de dire que c’est vrai ou faux. C’est à la justice d’infirmer ou de confirmer les rumeurs qui circulent actuellement.

Certains prédicateurs suscitent la polémique. Pensez-vous qu’il y a un retour des intégristes sur la scène politique ?

Nous assistons à une volonté ou une tentative du pouvoir de manipuler le phénomène intégriste. Car l’essentiel des acteurs, qui se sont mis sous les feux de la rampe ces derniers jours, sont connus pour être des éléments manipulés par le pouvoir actuel. Je vous signale que Madani Mezrag a soutenu la candidature de M. Bouteflika pour un quatrième mandat. Abdelfatah Hamadache aussi. Ils passent facilement sur des chaines de télévision algériennes alors que les partis de l’opposition, qui ont des agréments reconnus officiellement, y sont interdits. En fait, je ne vois pas de phénomène intégriste qui prend de l’ampleur au niveau de la société. Bien au contraire, nous assistons à un recul du mouvement à tous les niveaux. Et pour l’instant, les partis politiques catalogués comme étant des partis islamistes disent qu’il faut aller vers une transition démocratique, créer une instance indépendante pour la gestion des élections, qu’il faut respecter les libertés individuelles et collectives. Les acteurs auxquels vous faites allusion ne parlent pas de ces points, mais ils sont consultés, y compris sur la Constitution.


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