La chronique de Benchicou. L’année 2014, année des dinosaures, où nous avons vaincu le monde

Mohamed Benchikhou

Ce fut l’année, mon enfant, où le monde s’éloigna de nous, à moins que ce ne fut l’inverse, ce qui ne serait pas étonnant, vois-tu, nous avions des gueules à nous éloigner du monde, nous que plus rien n’épatait, pas même cette découverte, en mai 2014, du plus grand dinosaure sur terre, par des paléontologues argentins, une créature qui mesurait 20 mètres de haut, c’est-à-dire quatorze fois plus grand qu’un éléphant. Rien d’extraordinaire. Leurs animaux vivaient sur terre il y a 95 à 100 millions d’années ; les nôtres, nos dinosaures vivent avec nous depuis toujours. Ils sont même au pouvoir, aussi imposants que le titanosaure dont on a exhumé sept spécimens au mois de mai et qui mesuraient 40 mètres de long. Nos dinosaures sont de dimensions plus modestes et gouvernent sur fauteuil roulant.

Du reste, au cours de cette année 2014, nous avons enseigné au monde que l’on ne gouverne pas plus mal en pyjama qu’en costume Smalto et que, contrairement aux idées répandues, l’habit, en l’occurrence le pyjama, pouvait faire le moine et même le patrimoine si on se rappelle que nos titanosaures en pyjama protègent de gros délinquants qui ont massivement prélevé sur nos recettes pétrolières pour s’offrir une nouvelle jeunesse. C’est qu’en 2014, l’année où tout rappelait la mort, du virus Ebola aux guerres meurtrières en Syrie, en Ukraine, nous avons brillamment prouvé au monde que l’on pouvait, sinon vaincre la mort, du moins lui résister avec succès. Nos titanosaures ne meurent pas, ou alors très tard, bien plus tard que la moyenne de l’humanité.

Chez nous, on reprend à vivre à partir de 80 ans, à vivre et à voler, à l’exemple de certains de nos dirigeants irremplaçables, dont il faudra bien, un jour, reconnaître l’apport sans précèdent à la science. Pendant que la communauté scientifique mondiale avoue ne pas comprendre pourquoi nos cellules cessent de se renouveler à partir d’un certain âge, et que le respectable The New Encyclopædia Britannica en est réduit à reconnaître que « même après des décennies de recherche, le vieillissement reste en grande partie un mystère », nous avons démontré avec panache, en 2014, que le vieillissement, qu’il soit ou non provoqué par un dysfonctionnement des programmes génétiques responsables du développement cellulaire, n’est pas invincible. Comment, sinon, Bouteflika, ministre en 1962, serait-il toujours au pouvoir en 2015 ? Certaines langues affirment qu’on a testé sur nos dirigeants la cryogénisation, la congélation du corps, à la façon du film Hibernatus de Louis de Funès, où un homme accidentellement congelé est ramené à la vie des dizaines d’années plus tard. Tout cela dans une communion patriotique sans égal !

C’est que chez nous, nous avons une bonne longueur d’avance dans la technique de manipulation des mémoires. Pendant que les scientifiques du monde se sont épuisés, en 2014, à expérimenter sur des souris, l’optogénétique, une technique qui consiste à effacer des souvenirs existants et en implémenter d’autres faux à l’aide de rayons lumineux, nos dirigeants utilisaient des procédés bien plus efficaces : la télévision, la religion, le mensonge d’État et la corruption des esprits…

Oui, c’est décidé : nous sommes la prochaine comète 67P Churyumov-Gerasimenko, alias Tchouri, on y vit très longtemps, et plutôt que de mobiliser la sonde Rosetta pour envoyer l’atterrisseur Philae à 510 millions de kilomètres de notre planète pour en étudier le noyau, expédiez-le chez nous. Tu verras, mon enfant, vivre sur cette terre, dans notre beau pays, relève de la science-fiction, chaque jour qu’on vit est une fable qui ne se raconte pas.


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