Après quelques modifications, nous publions une nouvelle version de l’entretien que nous a accordé Abderrahmane Hadj Nacer, ancien Gouverneur de la Banque d’Algérie.
On assiste à un mouvement de rapatriement des réserves d’or, notamment en Europe. Quelles en sont les causes ?
En période de grande crise, les pays se rabattent sur les valeurs refuges, sur « la bonne monnaie ». Il y a une certaine défiance, notamment des BRICS, vis-à-vis du dollar et cela passe par la constitution de réserves d’or. Mais ce qu’il convient de relever c’est la tendance de la plupart des pays de l’UE de reconstituer leurs stocks d’or. L’Algérie détient 175 tonnes d’or en réserve, principalement aux États-Unis.
Quels sont donc les enjeux autour de ce stock ?
L’Algérie doit diversifier les produits qui constituent ses réserves et adopter une gestion active pour protéger le pays dans une période de manipulation des marchés et de bouleversements des équilibres économiques mondiaux. Il faut avoir une partie en monnaie, mobilisable tout de suite, par exemple pour couvrir 3 à 6 mois d’importations. Placer une partie en or, la « monnaie ultime » et penser à acheter des actifs.
Y a-t-il un risque pour nos réserves d’or ?
Tant que l’on ne fait pas la guerre aux États-Unis, ce qui n’est pas prêt d’arriver, le risque ne vient pas de là. Le réel danger réside dans nos capacités de gestion : les marchés comme nos partenaires n’aiment pas l’opacité et l’incertitude. Or, nous n’arrivons pas à émettre une image intelligible et rassurer les marchés sur nos objectifs et notre politique, qui est perçue comme arbitraire parce que imprévisible .
L’Algérie est-elle à l’abri des pressions en cas de crise, notamment avec nos réserves de changes et nos réserves d’or ?
Notre pays a de faibles capacités de négociation. Ils n’ont pas besoin de l’or pour faire pression sur l’Algérie. On importe tout et on n’arrive pas à garantir un minimum d’autosuffisance, que ce soit sur le plan alimentaire, pour se loger ou pour se vêtir. On est totalement dépendant de l’étranger, donc il suffit d’imposer un blocus alimentaire pour obtenir plus de « compréhension » des autorités algériennes. Néanmoins une politique active des réserves exige non seulement la diversification des placements mais aussi la diversification des zones géographiques de ceux-ci.
Vous faites une distinction entre « or physique » et « or papier »…
L’or fonctionne comme toutes les matières premières, notamment le pétrole. La logique monétariste veut que les détenteurs (d’or) ne réclament jamais plus de X% de leurs dépôts par exemple 10%. Avec les 90%, on émet des titres équivalents à 10 fois la valeur réelle. C’est l’or papier. Les gens croient détenir de l’or physique et spéculent, mais on sait que personne ne viendra chercher cet or ou ce pétrole physique. Il y a donc une forte spéculation et on arrive à une situation où les coûts de production sont supérieurs aux prix du marché. C’est une des explications de l’évolution récente des cours de l’or noir et de l’or métal. On assiste à une manipulation des marchés : on émet plus de papier qu’il n’y a de demande. Par conséquent, les prix baissent sur le marché. En cas de crise, ceux qui sont à l’origine de la crise sont les premiers servis et ce sont les petits (comme l’Algérie) qui payent. C’est pour cela qu’il faut veiller à diversifier les placements et les produits.
Êtes-vous en faveur de la création d’un fonds souverain ?
L’Algérie a intérêt à diversifier ses placements, notamment dans les achats d’actifs, à travers un fonds souverain. Il faut acheter des ensembles cohérents qui servent une politique industrielle ou agricole par exemple. Il faut le faire intelligemment pour ne pas que ce soit perçu comme une agression par les marchés. Une attitude offensive peut être perçue positivement, du moment que nos objectifs sont affichés et transparents, dans le cadre de la politique économique du pays. On peut le faire en accord avec les pays où l’on veut investir, pour ne pas que ce soit mal perçu.
Quelles sont les conséquences de la baisse des prix du pétrole sur l’Algérie ?
D’un point de vue technocratique, c’est une bonne nouvelle. Historiquement, il y a une corrélation en Algérie entre le prix du pétrole et les équilibres du pouvoir. Á chaque fois que l’on assiste à une telle crise, on a vu un rééquilibrage de la balance décisionnelle en direction de la technostructure alliée au peuple. Le pouvoir est obligé de négocier et c’est dans ces moments que les réformes les plus intéressantes pour le pays ont vu le jour. Il faut faire des réformes et celles-ci ne sont possibles que si la population y adhère.
Vous pensez que la situation actuelle va amener un rééquilibrage des pouvoirs ?
D’habitude, la prise de conscience se fait quand les caisses sont déjà vides. Il y a encore la volonté de calmer et de soudoyer la population avec des dispositifs dévoyés comme l’Ansej, des logements gratuits, des subventions loufoques… Cette fois-ci, ce qui est intéressant, c’est que le pouvoir se rend compte que la machine administrative qui faisait fonctionner le pays en période de crise est morte. Les générations appelées à gérer le pays ne sont pas assez formées, en l’absence de transmission de savoir, de techniques et d’expériences. On sent de l’inquiétude et on sait que tout le système doit évoluer en profondeur et qu’on doit reconstruire des administrations pérennes qui fonctionnent vraiment et qui ne donnent pas simplement l’illusion que ça marche.
En cas de crise, l’Algérie a-t-elle le temps et les capacités pour mener à bien ce genre de réforme ?
Aujourd’hui une des urgences consiste à rétablir l’équilibre des prix. Quand on a de la légitimité et que la population se reconnaît dans le système, on trouve toujours le temps et la capacité de faire. Quand le régime tire toute sa légitimité de l’international, alors que celui-ci exerce des pressions et que le pouvoir est dans une logique de soumission… Dans ce cas, même avec des réserves financières conséquentes, vous n’avez plus le temps. Á ce moment là, vous êtres pris entre la pression internationale, une incapacité technique à l’intérieur et une population qui vous tourne le dos. C’est une équation qui devient impossible à résoudre.
La Banque d’Algérie a autorisé l’investissement à l’étranger pour les entreprises algériennes sous certaines conditions. Cela va-t-il assez loin ?
C’est une bonne chose et j’espère que la mise en œuvre sera transparente. Le plus fondamental, c’est que l’Algérie investisse son argent en fonction de sa politique économique dans des entreprises émettrices de technologie et de culture industrielle, agricole ou autre. C’est ce que fait Monsieur Rebrab (Cevital). On en a besoin dans tous secteurs confondus privé et public. Or le système algérien n’autorise pas l’autonomie des entreprises et l’initiative, parce qu’il n’autorise pas la citoyenneté. Vous ne pouvez pas être P-DG si vous n’êtes pas un citoyen. Mais ce qu’on demande au P-DG du secteur public, c’est d’être soumis, non pas d’avoir une capacité d’initiative. Dans ce contexte, M. Rebrab est gênant car il ose et il démontre l’incapacité du système à être productif.
Pourquoi la convertibilité du dinar pose-t-elle problème en Algérie ? Y a-t-il un risque de fuite des capitaux ?
Nous avions prévu la convertibilité du dinar pour fin 1992 en même temps que l’investissement à l’étranger. Leur interdiction était liée à une vision non-démocratique de la gestion de la rente. La convertibilité du dinar oblige à rendre des comptes, tant sur le plan technique que politique. C’est un instrument politique qui oblige à la « reddition de compte », mais en contrepartie vous émettez de la confiance. Cela impose de la transparence. Pour la fuite des capitaux, les gens ont recours à d’autres techniques, on les connaît : le marché parallèle, les surfacturations, les facturations intragroupes… L’absence de convertibilité du dinar ne fait que pousser au trafic.
La dépréciation du dinar constitue-t-elle un motif d’inquiétude ?
Le dinar ne s’arrêtera pas de se déprécier. Dès que l’on a des dinars excédentaires on ne les garde pas en dinar. On les convertit en or, en devise ou en pierre surtout à l’étranger. N’importe quelle monnaie est basée sur la confiance. Or, il n’y a pas de confiance entre la population et les dirigeants et il n’y en a pas non plus entre le reste du monde et l’Algérie. Deuxièmement, la valeur de la monnaie se base sur des éléments tangibles. En dehors du sous-sol, il n’y en a pas dans notre pays, même le prix des hydrocarbures n’est pas déterminé par l’Algérie mais à l’étranger. Troisièmement, la dépendance vis-à-vis de l’étranger est totale. Tout ce dont on a besoin vient de l’étranger, donc la monnaie n’a pas de valeur tangible et n’a pas d’ancrage dans une économie réelle. Donc on ne peut pas investir dans une monnaie (le dinar) tant qu’on n’a pas réglé ces trois problèmes. Cela passe d’abord par une forme de légitimation populaire.