ENTRETIEN. Mohcine Belabbas, président du RCD : « Le pouvoir a décidé de soumettre l’Algérie au gouvernement français »

unnamed

Que pensez-vous de la réponse apportée par le président Bouteflika face à la chute du prix du pétrole ?

Je ne vois pas de réponse dans les déclarations de M. Bouteflika. Il s’est limité à dire qu’ils étaient inquiets et a demandé au gouvernement de faire en sorte de réduire le budget de fonctionnement. Mais nous ignorons ce que le gouvernement compte faire pour réduire l’impact de la chute du prix du baril sur le pays.

Et il est très difficile de connaître les détails. Nous n’avons pas de données chiffrées sur le fonctionnement de l’Etat. Nous avons de vagues données rendues publiques à l’occasion de la présentation des lois de finances ou des bribes d’informations qui nous parviennent à travers les déclarations ou les contributions d’un certain nombre d’économistes, mais pas plus.

Le Président a appelé à rationaliser les dépenses tout en maintenant les subventions. Ces mesures ne sont-elles pas suffisantes ?

D’abord, ce n’est pas suffisant. Ensuite, ce n’est pas clair. Ces déclarations suggèrent seulement que, jusque-là, le gouvernement ne gérait pas les deniers publics de manière rationnelle puisqu’on parle de rationalisation.

Concrètement, ce qui est attendu du gouvernement, c’est de réorienter la politique économique dans le sens de l’investissement productif. Pour l’instant, on ne voit rien venir. Nous attendons des explications du gouvernement pour voir dans quel domaine on va investir en priorité. Ce qui est important aussi, et le chef de l’Etat l’a suggéré hier, est de réfléchir, sérieusement, aux énergies renouvelables.

Quelle serait la conséquence de cette chute du pétrole sur la situation politique du pays ?

La conséquence est déjà là : le gouvernement s’est réuni dans l’urgence et en retard pour dire qu’il faut rationaliser les dépenses publiques alors que nous avons attiré son attention depuis plus d’une année. Nous sommes déjà dans une période où l’impact de cette chute a commencé à avoir des effets sur la gestion du pays en général. Il est à craindre qu’on ne puisse plus, dans quelques années voire dans quelques mois, assurer les salaires tels qu’ils le sont actuellement. En 2011, il y a eu une importante augmentation de salaires pour acheter la paix sociale.

Quelle lecture faites-vous de la grande mobilisation de l’Armée algérienne en Kabylie après la mort d’un touriste français ?

Ce qui est malheureux dans l’affaire d’Hervé Gourdel, c’est que le citoyen algérien s’est rendu compte que l’Etat algérien ou le pouvoir met les moyens quand il s’agit de la vie d’un citoyen français. Mais il ne fait pas la même chose quand il s’agit d’un citoyen algérien, civil ou militaire.

Quelques mois avant la mort de Gourdel, douze militaires ont été assassinés dans la même localité. Durant des années, plusieurs citoyens ont été kidnappés dans cette même localité sans qu’il y ait la mobilisation de tant de forces sur le terrain. Cette soumission à la France commence à créer des problèmes. Certains ambassadeurs ont même relevé, ces derniers temps, le fait que l’Algérie continue à dépendre énormément des décisions de la France.

Cela dit et malgré tout, la population algérienne a bénéficié de cette mobilisation. Il a fallu qu’un Français soit kidnappé dans cette région pour que les militaires se mobilisent pour essayer de réduire la nuisance du phénomène terroriste.

 Qui sont ces ambassadeurs ?

Nous avons eu des informations faisant état d’un certain nombre d’ambassadeurs notamment un Européen qui a quitté le pays, depuis quelques temps, et qui a dénoncé cela en disant : « je pensais que l’Algérie était indépendante, je me rends compte qu’elle ne l’est pas encore ». C’est un ambassadeur qui a refusé d’être reçu par Bouteflika et Sellal.

Le gouvernement a-t-il subi des pressions après l’assassinat d’Hervé Gourdel ?

Je ne dis pas que le gouvernement a subi des pressions. Le pouvoir algérien a décidé de se soumettre et de soumettre l’Algérie au gouvernement français. On voit cette soumission, dans les décisions et dans les actions, à travers un certain nombre de décisions économiques qui favorisent énormément les entreprises françaises, au détriment d’autres entreprises nationales et étrangères.

Le fait d’avoir décidé d’envoyer des militaires algériens en France pour participer au défilé du 14 juillet sans qu’il y ait un débat en Algérie était un signe de réorientation de la politique algérienne vis-à-vis de la France, sans contrepartie ! L’autorisation accordée à l’aviation militaire française de survoler le territoire national est un autre signe. Le fait que le chef de l’Etat se soigne régulièrement dans les hôpitaux français est aussi un signe de soumission.

La CNLTD revendique des élections anticipées, Hamrouche se prononce clairement contre cette proposition, le FFS prépare sa conférence nationale… peut-on réellement parler d’une opposition unie autour du projet de transition démocratique ?

D’abord, l’opposition algérienne revendique en priorité l’institutionnalisation d’une instance indépendante pour la gestion des élections. Une fois cette revendication acquise, elle passera à une autre étape qui est l’élection présidentielle anticipée. Et dans tous les cas, il y aura une élection. La première (régulière) interviendra en 2017, à savoir les élections législatives. Donc, c’est pour bientôt.

Par la suite, il faut aller à une élection présidentielle anticipée parce que nous avons un président malade, illégitime et qui n’est pas reconnu par une bonne majorité d’Algériens. Cette situation profite aux puissances étrangères dans leurs négociations avec l’Algérie. Et l’opposition crédible est d’accord sur l’installation d’une instance indépendante de gestion des élections. Plus de 45 partis revendiquent cette instance.

Hamrouche et le FFS ne font pas partie de cette opposition crédible, selon vous ?

Si on se limite à définir l’opposition comme étant ceux qui sont contre le pouvoir actuel, je pense que les membres de l’instance sont représentatifs. Pour l’essentiel, ses membres sont des partis qui ont boycotté l’élection présidentielle, qui demandent une transition démocratique, une instance indépendante et qui ne siègent pas dans des institutions telles que l’APN.

Où situez-vous M. Hamrouche ?

Il se définit lui-même comme étant un enfant du système qui veut plaire à tout le monde. Depuis le dernier commentaire de la revue El Djeich, il est sur la défensive. D’abord, il dit :  » Je ne suis pas concerné par les propos d’El Djeich « . S’il ne se sent pas concerné, il n’a pas besoin de communiquer sur ce point. Ensuite, il dit je ne me suis jamais adressé à l’Armée.

Or, on sait très bien qu’il avait adressé un message,  dans une déclaration publique faite à la veille de la présidentielle, à Bouteflika, Toufik et Gaïd Salah. Il est aussi sur la défensive quand il dit :  » je ne suis candidat à rien « . Il pensait jouer l’homme du consensus et il se rend compte que ce qu’il attendait ne marche finalement pas.

Comment interprétez-vous les déclarations du vice-ministre et chef d’état-major sur la dernière présidentielle ?

Nous avons réagi à temps par rapport aux déclarations de Gaïd Salah. Nous avons jugé qu’il y avait un dérapage, au minimum verbal, du chef de l’état-major. Ce dernier n’a pas à s’immiscer dans les affaires politiques. C’est-à-dire qu’il n’a pas à décider de l’ordre du jour du débat de la classe politique.

M. Gaïd Salah est le représentant d’une institution dont les missions sont clairement définies par la Constitution. Il peut et il a le droit de parler de la situation sécuritaire aux frontières, de lancer des messages pour mobiliser les troupes, de sensibiliser le citoyen sur les dangers aux frontières et sur la question du terrorisme mais il n’a pas à décider si l’opposition peut dire que les élections ont été illégitimes ou pas.

Est-ce que c’est dû au fait qu’il occupe ces deux postes : vice-ministre de la Défense et chef d’état-major ?

D’abord il s’est exprimé en sa qualité de chef d’état-major dans une école des cadets à Béchar. Dans le même temps, en tant que vice-ministre de la Défense, il n’a pas à décider de l’ordre du jour des débats publics. C’est un dérapage. La preuve, à ce jour, il n’a pas réagi à l’interpellation de la classe politique.

Avez-vous constaté un changement concernant l’influence du DRS sur la vie politique près d’un an après les critiques formulées par le Secrétaire général du FLN ?

Les décisions prises par le chef de l’Etat, en septembre (2013) ont précédé les déclarations de M. Saadani. Et dans ses déclarations, on sent quelqu’un qui était dans les règlements de comptes, quelqu’un qui croyait, qui était convaincu ou qui avait l’information que les acteurs qui bougeaient dans le cadre du redressement (au sein du FLN) étaient manipulés par les services. Donc, il ne les a pas faites par conviction sinon il aurait fait dans d’autres conjectures. Cela étant dit, bientôt se tiendra le congrès du FLN. Mettra-t-il la dissolution de la police politique dans son programme ? Je ne suis pas sûr. S’il ose le faire, on pourra reconnaître une évolution importante.

Mais y a-t-il eu un changement dans la vie politique depuis les décisions du Président ?

Il est sûr qu’il y a une reconfiguration au niveau des services de sécurité en général. Mais on ne peut pas dire, immédiatement, que le rôle de la police politique a été énormément réduit. On ne peut pas dire aussi qu’il y a une décision officielle de dissoudre la police politique. Il y a récupération d’une partie des prérogatives de la police politique au profit de la présidence. Quand on voit un ancien premier responsable au niveau DRS rappelé au niveau de la présidence, que le patron du DRS depuis 1990 n’a pas encore changé, on se pose des questions.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici