Houria, notre mémoire amère

Crédit photo : lematin.dz

Le plus dur, c’est l’amnésie des autres, m’avait-elle encore dit ce soir-là. C’était il y a quelques mois, à l’enterrement de ma mère, Houria parlait de cette voix fatiguée mais jamais éteinte. Elle était le dernier cri d’Alger, debout dans le vent de l’oubli, sa chevelure désespérée, apostrophant les hommes et le temps : « Jusqu’à quand tendrez-vous vos mains aux égorgeurs de ma très chère fille Amel ? »

Mais les murs du palais ne répondent jamais et Houria est partie avec ses amertumes. Je ne laisserai personne dire qu’elle est morte apaisée. Sur Haouch Boudoumi, elle avait si longtemps guetté le retour des hirondelles avec l’espoir de reconnaître en l’une d’elle, une mèche d’Amel. Elle avait si longtemps interrogé le ciel : Combien faudra-t-il à cette terre de sang de jouvencelles et de nymphes guerrières pour qu’y germent enfin des torches dans notre nuit ?

« Je souffre du cœur, avait-elle murmuré ce soir-là. Je sais, je sens qu’il va lâcher… » Une larme acide était alors montée en moi. J’entendais, moi, ce cœur piétiné, ce cœur sacrifié, ce cœur trahi, j’entendais ce cœur crevé par tant de veuleries, ce cœur qui battait d’un sang rebelle, j’entendais ce cœur plein d’une douleur inépuisable et qui a fini par lâcher, hier, du côté de Haouch Boudoumi, là où gît l’espoir et la douleur, l’oubli et le souvenir…

Houria est partie en nous léguant ses interrogations et ses amertumes. Elle était le dernier cri d’Alger et il nous hantera à jamais. « Pourquoi a-t-il fallu à nos déesses une autre guerre pour enfin crever ce voile noir sur le ciel d’Alger ? Pourquoi Amel ? » Ils avaient promis de la vêtir d’un caftan d’or et d’étincelles, d’un séroual de feu et de la plus belle pelisse de Dieu. Et l’édile avait même ajouté : « Témoignez, témoignez, témoignez ! »

Houria ne pleurera plus devant nous.

Elle était notre ultime gisement de colère. Notre mémoire amère. Elle a emporté sa voix fatiguée et ses fureurs de mère blessée, mère d’une pucelle qui restera pour toujours, dans nos mémoires fardées, l’éternelle adolescente qui désigna aux hommes cette petite place dans leur cœur où loger l’amour de sa terre…

Houria est partie avec ses questions et ses amertumes. Ne laissons personne dire qu’elle est morte apaisée.


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