Entretien avec Abdelmadjid Tebboune, ministre de l’Habitat : « La gratuité pour tout le monde c’est fini ! »

tebboune1

Le gouvernement promet de résoudre la crise de logement en 2018. Vous vous êtes engagé à régler en quatre ans un problème qui dure depuis plusieurs décennies. La promesse laisse beaucoup d’Algériens perplexes…

C’est un engagement que le gouvernement prend très au sérieux. Des moyens colossaux sont mis en œuvre pour concrétiser cet objectif. Je vais vous fournir deux chiffres qui le montrent : en 2012, le secteur de l’habitat a consommé 215 milliards de dinars ; nous allons clôturer l’année 2014 avec 656 milliards de dinars consommés. Vous voyez, le gouvernement ne se contente pas des promesses.

Lorsque j’ai pris le train en marche, en 2012, la situation dans le secteur était loin d’être reluisante effectivement. Deux programmes quinquennaux engagés mais d’énormes retards dans la réception et le lancement des projets.

La raison ? Une capacité nationale de réalisation faible. Une réalité que certains n’avaient pas eu le courage de reconnaitre à l’époque. Résultat, le programme quinquennal qui prévoyait 2,6 millions de logement n’a été lancé qu’à hauteur de 52%. Nos capacités nationales ne dépassaient pas, en réalité, le seuil des 80 000 logements par an, pour des besoins de lancement d’au moins 250 000 logements par an. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes ouverts à l’étranger. Il fallait faire appel à nos partenaires européens, asiatiques et arabes pour permettre aux souscripteurs d’habiter dans les meilleurs délais.

Maintenant, je peux rassurer les Algériens que le programme quinquennal est lancé à 98%. D’ici janvier 2015, ce programme sera réceptionné à hauteur de 80% ce qui est énorme. Personnellement je suis confiant.

D’après un recensement effectué au niveau de toutes les communes du pays, et après la clôture des programmes déjà engagés, et la satisfaction de tous les besoins exprimés actuellement, il resterait près de 800 000 demandes à programmer. Un chiffre qu’on pourrait revoir à la baisse, si l’on prend en considération les mesures prises par Abdelmalek Sellal pour encourager l’auto-construction.

Le logement en Algérie sera donc réalisé, essentiellement, par les étrangers, un choix qui est souvent critiqué par les patrons algériens. Quel est votre commentaire ?

Bien évidemment, nous voulons développer nos propres moyens de réalisation pour arriver un jour et le plus tôt possible à des capacités nationales de réalisation de 120 000 logements par an. Mais la réalité est là : sur les 6 000 entreprises algériennes activant dans le secteur, 5 800 sont classées dans la catégorie de 1 à 4. C’est-à-dire des entreprises qui ne possèdent que quelques bétonnières et font un travail artisanale, ce qui sous-entend une qualité approximative et des délais de réalisation de plus en plus long.

Si vous voulez satisfaire la demande, juguler la crise, et faire en sorte pour qu’il n’y ait plus de crise, il faut que vous arriviez à réaliser un logement en maximum 18 mois. La moyenne nationale en 2001 2002 était de trois ans et demi à quatre ans. Nous sommes en train de la réduire avec nos partenaires étrangers.

Nous discutons avec le patronat national pour inciter les petites entreprises à investir pour se mettre à niveau. On ne leur demande pas de lancer des usines mais on exige le minimum. C’est-à-dire, avoir des moyens de production de béton. Au lieu de faire tourner une bétonnière pendant huit heures, il faudra opter pour une centrale à béton qui fera le travail en 30 min. On gagne aussi du temps en remplaçant le coffrage classique par le coffrage métallique modulaire. On exige des échafaudages et des moyens de levage corrects. Tout ça va servir à augmenter les capacités de réalisation de nos sociétés nationales.

Je peux vous confirmer que les entreprises algériennes ont des cahiers de commandes pleins. Mais ces sociétés accusent un grand retard, dans le lancement des projets et dans la réalisation.

La seconde short liste arrêtée par le ministère, qui est composée de sociétés moyennes, compte 85 entreprises nationales. Figurez-vous que seules 25 se sont présentées pour obtenir des marchés de gré à gré

En attendant que les étrangers installent leurs usines en Algérie comment comptez-vous augmenter la cadence de réalisation ?

D’abord, je dois préciser que nous avons déjà une capacité étrangère et nationale installée. Les nouveaux investissements constitueront un plus. Ensuite, il faut savoir qu’une usine de préfabrication de bâtiment est très facile et rapide à installer .C’est un hangar avec quelques tables pour le béton et pour monter les fenêtres.

Les sociétés étrangères sont-elles prêtes à investir en Algérie ?

Elles ont intérêt à le faire.

Pourquoi ?

En Europe, il y a le chômage et la crise. Prenant le cas de l’Espagne. Les capacités installées dans ce pays couvrent la réalisation de 1 million de logements par an. C’est le cas dans plusieurs autres pays. L’investisseur saisit les opportunités. En ce qui nous concerne, on lui garantit l’amortissement de son usine, le transfert de ses dividendes. Á un moment donné, nos partenaires étrangers pensaient, que l’Algérie pouvait accepter des logements préfabriqués à l’étranger et transportés dans des bateaux. Mais on a exigé des capacités de réalisation installées ici.

Avant même de clôturer les deux premiers programmes AADL, le gouvernement promet de lancer AADL 3. Pourquoi ?

L’AADL est le logement le mieux adapté à la classe moyenne en Algérie. Le Premier ministre, Abdelmalek Sellal, est convaincu que l’avenir du logement est dans cette formule. Oui, nous avons l’intention de lancer AADL3. En janvier ou février 2015, le gouvernement compte lancer un nouveau programme de 400 000 logements, dont une partie, plus de 100 000, sera consacrée à l’AADL 3. La formule AADL permet aux citoyens de participer et de mettre la main dans la poche. La gratuité pour tout le monde c’est fini ; l’État est en train de s’essouffler.

Avez-vous fixé des délais de livraison pour AADL 1 et 2 ?

Je comprends le souci des Algériens qui ont attendu 18 ans pour avoir un logement. Cette époque est révolue. Aujourd’hui, l’Algérien a l’espoir de voir son logement lancé et réalisé en 20 mois. Je dois rassurer les souscripteurs que l’ordre de versement est un contrat engagé avec l’État. Á partir du moment où les souscripteurs paient, leurs droits sont protégés. L’ordre de versement, c’est un document financier important. Le souscripteur peut même demain, et si jamais sa demande n’est pas satisfaite dans les délais, ester l’État en justice et encaisser 5 fois le montant versé.

Pas de délais précis donc pour les deux programmes ?

Quand j’entame un chantier, je m’engage à le livrer en 24 mois. Les gens sont échaudés par rapport aux retards du programme 2001/2002. Á l’époque, on a multiplié les guichets AADL qui recevaient des foules immenses quotidiennement alors que le programme inscrit était de 55 000 logements seulement.

Qu’en est-il pour le programme LPP ?

Certains ont essayé de miner cette formule. Et on les connaît. Des lobbies souhaitent que cette opération ne réussisse pas pour renforcer la spéculation. Mais désormais, le LPP est considéré comme une opération de service publique. Nous sommes prêts à lancer un million de logement LPP. 60% de la demande est à Alger. Ce qui reste est réparti sur les grandes villes ; Annaba, Oran et Constantine.

Quel sont les sites sélectionnés à Alger?

Actuellement, là où on rase un bidonville on construit des logements. Les projets lancés se trouvent à Djanan Sfari (Birkhadem), Ouled Fayet, Sidi Abdellah, Reghaia… Actuellement, 12 000 logements LPP sont lancés.

Raser les constructions illicites et recaser les familles qui y habitent semble être une priorité pour le gouvernement. Cela se fait dans certains cas au détriment des familles qui ont préféré la location pendant des années sans recourir à l’illégal…  

C’est une vérité. Certaines familles ont raison de se sentir lésées. Elle qui ont préféré la location au lieu de squatter les bidonvilles. Je les rassure. Les walis sont instruits pour satisfaire les deux demandes en même temps. Mais je dois dire qu’il n’y a pas que les terrains à récupérer suite à ces opération, il y a aussi l’autorité de l’État à restaurer. Contrairement aux années précédentes, la distribution de logement est de plus en plus maîtrisée, d’ailleurs on constate moins de contestations sur les logements ces dernier mois. Pour les derniers recasements, le fichier national nous a permis d’exclure 5 000 familles. Ce qui n’est pas rien.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici