Football féminin : « Il faut oser pour effacer les préjugés »

EN FILLE football

Moins médiatisée que la Coupe d’Afrique messieurs, que tout le Monde attend avec impatience, la Coupe d’Afrique féminine a débuté samedi dernier. Les Algériennes qui ont réussi à accéder à la phase finale, ont remporté leur premier match en battant le Ghana (1-0). Demain, elles devront croiser le fer avec le Cameroun. 

Si le football est resté très longtemps l’apanage des hommes, les dames s’intéressent de plus en plus à ce sport et parviennent même à s’imposer comme le fait notre équipe nationale actuellement en Namibie.

Pour nous parler de l’équipe nationale féminine de football méconnue, Naïma Laouadi, l’ancienne footballeuse évoque le challenge qui attend les Vertes lors de la CAN 2014, mais également la lutte des femmes pour s’imposer dans un monde d’hommes.

Naima Laouadi (1)

Naïma Laouadi

Tout d’abord, pouvez-vous présenter à nos lecteurs cette équipe féminine ?

L’équipe nationale féminine de football a été créée en 1998. Ce n’est qu’à partir de 2002 que l’équipe a commencé à faire parler d’elle notamment sur le plan continental. Et cette année, elle participe à la phase finale de la Coupe d’Afrique des Nations. Notre équipe a disputé deux matchs de barrage et a réussi à s’imposer face à la Tunisie et au Maroc. Ce sont les joueuses issues du championnat local, qui ont pris part aux éliminatoires. Pour la phase finale, qui se déroule actuellement en Namibie, quatre joueuses qui évoluent en D2 française ont intégré le groupe.

Que pensez-vous du résultat de l’équipe face au Ghana ?

Les filles ont démontré lors de leur premier match ce dont elles étaient capables. Il ne faut pas oublier qu’elles ont été versées dans un groupe difficile composé du Cameroun, du Ghana et de l’Afrique du Sud. La victoire contre le Ghana a vraiment été une surprise car tout le monde sait que c’est l’une des meilleures équipes d’Afrique. Néanmoins, l’essentiel pour nous est d’avoir remporté les trois points qui font qu’on occupe la première place ex-aequo avec le Cameroun. Demain, elles affronteront le Cameroun qui est vice-champion d’Afrique et qui a pris part aux derniers jeux olympiques. C’est une équipe qui commence à prendre une grande place en Afrique voir même à rivaliser avec le Nigeria. Je pense que les nôtres ne pourront pas faire un grand match face au Cameroun, par contre si elles font un match nul et arrivent à battre l’Afrique du sud, elles passeront en demi-finale.

Parlez-nous du niveau africain, qu’elles sont les meilleures équipes actuellement ?

La meilleure équipe africaine actuellement : c’est le Nigeria sachant que leur équipe des moins de 21 ans sont championnes du Monde. Ce sont les stars du football africain, elles ont pris part à toutes les Coupes du Monde. Il y a aussi la Guinée Équatoriale détentrice du titre africain, je me demande d’ailleurs pourquoi elle ne participe pas à l’édition de cette année. Je citerai également le Cameroun qui arrive à grand pas et le Ghana qui est une équipe très forte sans oublier l’Afrique du sud et la Côte d’Ivoire. Je ne peux pas dire que les Algériennes arriveront en finale – même si c’est ce que je leur souhaite – cependant, je pense qu’elles peuvent faire mieux que ce qu’elles ont fait face au Ghana même si le Cameroun reste une équipe difficile.

Quelles sont les meilleures joueuses actuellement de l’équipe nationale ?

Il y a une joueuse qui brille et qui est très talentueuse, d’ailleurs elle a été élue meilleure joueuse du match Algérie-Ghana, il s’agit de Naïma Bouheni (Affak Relizane). Les autres éléments sont jeunes et manquent quelque peu d’expérience. Si la FAF croit réellement au football féminin, elle doit leur donner les moyens et on pourra dans le futur faire très mal lors des compétitions continentales.

En parlant de cela, quelle est la situation actuelle du football féminin ?

En un seul mot : Catastrophique ! Quand les Algériens voient que l’équipe nationale masculine brille, notamment après le Mondial brésilien, ils croient que les féminines aussi touchent de l’argent, or ce n’est pas le cas. La Fédération algérienne est très riche en ce moment, je me demande pourquoi on ne donne pas d’argent à ces filles. Avec zéro moyen, elles ont réussi à accéder en phase finale de la CAN et à battre le Ghana qui est la troisième ou quatrième équipe d’Afrique. Je pense que monsieur Raouraoua ainsi que les responsables de la ligue de football et du football féminin, doivent croire en cette équipe.

Malheureusement, ce qui se passe est qu’on est toujours à la recherche du résultat immédiat alors que pour récolter les fruits il faut travailler très dure et mettre les moyens. Quand je vois l’exemple français avec notamment l’OL qui s’est rendu compte que son équipe a du potentiel mais qui n’arrivait pas à accéder ni au championnat d’Europe ni au championnat du monde, leur politique a changé et ils ont obligé les clubs à affilier les équipes féminines afin qu’elles se professionnalisent. Résultat : l’équipe féminine de l’OL est championne d’Europe ce qui est extraordinaire. Le président de la FAF et les responsables du football féminin doivent se réveiller et donner de l’importance à ces filles qui jouent gratuitement.

Donc c’est le manque de moyens qui freine le développement du football féminin ?

Il y a les moyens mais aussi les personnes qui dirigent cette discipline. Je pense qu’il faut choisir les bonnes personnes pour diriger le football féminin, qui est géré de façon anarchique à tous les niveaux : présidents d’associations, entraîneurs. Il y a quatre équipes qui sont plus ou moins ordonnées dans le championnat féminin ; Afak Relizane, Alger centre, l’équipe de la Police et le FCC Constantine, pour le reste il n’y a ni moyens, ni infrastructures, pire encore les entraîneurs ne sont même pas diplômés et n’importe qui peut devenir président d’Association ou dirigeant. Si on veut évoluer on doit être plus ordonné.

Il faut dire que le contexte social ne permet pas au sport féminin de se développer en raison des préjugés et de tabous. Etes-vous d’accord ?

Ecoutez, du moment que vous donnez une bonne image de vous, que vous vous respectez et que vous respectez les autres en ne faisant pas n’importe quoi, il n’y a pas de soucis. La femme représente sa famille mais également la société. Qu’on le veuille ou non, nous sommes dans un pays musulman même si chacun a sa liberté. Il faut tout simplement oser pour justement effacer les préjugés, déjà que le sport féminin en général est marginalisé alors que dire du football !

Personnellement, avec beaucoup de modestie, j’ai été la pionnière du football féminin en Algérie et c’était pendant la décennie noire. Je n’ai jamais eu de problèmes, j’ai été félicitée par mes collègues hommes, je n’ai jamais fait l’objet d’insultes ou de marginalisation par qui que ce soit, d’ailleurs je remercie le peuple algérien. Malheureusement, ce qui se passe dans le football féminin, c’est l’anarchie totale, les filles ne sont pas prises en charge sur le plan psychologique ou social. Ils ramènent des filles, les font jouer et c’est tout. C’est l’image de la femme algérienne qui est en jeu, donc en football il faut donner le meilleur de soi-même. Je voudrais ajouter quelque chose…

De quoi s’agit-il ?

Je lance un défi, si demain on met en place des joueuses qui savent s’exprimer, intelligentes et qui savent se tenir, je ne pense pas que les gens critiqueront le football féminin. L’image négative qui existe n’est pas à cause de la société algérienne mais à cause des responsables du football féminin qui ne prennent pas en charge ces filles. C’est un sport délicat, il faut que les filles soient orientées, il faut leur faire aimer le sport et c’est malheureusement le cas de tout le sport en Algérie que ce soit pour les filles ou les garçons, il est mort ! Il n y a pas de résultats dans toutes les disciplines et on ne comprend pas pourquoi. Tous les entraîneurs diront que c’est à cause des responsables qui ne cherchent qu’à s’enrichir ou à se faire élire en tant que président de Fédération ou d’Association. Ils ne cherchent que leurs intérêts, avec tout le respect que je dois à l’ancien et actuel ministre des Sports mais ils n’ont rien fait pour le développement du sport féminin. C’est urgent il faut changer la politique du sport en Algérie.

Vous dites que vous n’avez pas eu de mal à vous imposer mais connaissez-vous des filles qui ont des difficultés justement parce qu’elles ont choisi d’être footballeuses ?

Je ne dirai pas que je n’ai pas eu de problèmes avec ma famille. J’en ai eu, c’était un long parcours du combattant pour créer une équipe féminine. J’avais des difficultés notamment avec mes parents mais j’ai réussi à leur prouver que je pouvais y arriver et donner une bonne image. Il est clair qu’il y a des filles qui ont du mal à jouer au football à cause de leurs familles, mais je pense que lorsqu’on a l’amour de quelque chose, on se bat pour prouver qu’on peut réussir.


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