Et, si la mésaventure du Français Hervé Gourdel n’était que la stupide histoire d’un homme victime de ce que l’on ne sait plus où finit l’Algérie de la paix retrouvée et où commence l’Algérie du terrorisme persistant ? Notre homme ne se serait-il pas tout simplement trompé de porte et, croyant entrer dans l’Algérie du bonheur imaginé, a imprudemment franchi le seuil de l’Algérie réelle ?
Il faut dire que la frontière entre les deux pays est assez équivoque. Elle dépend des humeurs, des intérêts du moment, de cette chose creuse qu’on appelle la science des diplomates et qui, pour reprendre un auteur français, n’est autre chose que l’art de prolonger les difficultés.
Aussi, quand le Quai d’Orsay, par le biais de ses fameux Conseils aux voyageurs, déconseille aux ressortissants français de se rendre en Algérie, il parle bien de l’Algérie réelle, celle-là où l’on ne se rend jamais en touriste, l’Algérie réelle où la population ne vote pas, où l’argent du pétrole remplit plus les poches amies que les caisses de l’État, l’Algérie réelle où les chômeurs menacent de descendre dans la rue et où les terroristes s’installent en maîtres…
Mais cette Algérie-là, Gourdel ne la connaît pas. Passionné de haute montagne, il se plaisait à découvrir l’Algérie du bonheur imaginé, sur les monts de Tikjda où il avait loué un chalet, à quelques centaines de mètres des groupes terroristes, s’offrant le luxe d’annoncer son voyage sur Facebook. Un haut responsable algérien, qui a eu le bon goût de garder l’anonymat, s’est emporté contre « l’imprudence » du Français, ne comprenant pas que l’on puisse se rendre dans « une zone infestée de terroristes et de bandits qui y ont commis de nombreux enlèvements ».
Mais comment le savoir dans un pays où les officiels vantent à longueur de temps le « miracle » du champion Bouteflika qui « a sorti l’Algérie des ténèbres vers la lumière ? » N’est-ce pas sur son exploit d’avoir pu réinstaller la paix que Bouteflika a été réélu pour un quatrième mandat ?
La mise en garde du Quai d’Orsay ne devenait plus, alors, qu’un rituel auquel personne ne prête plus attention. Du reste, François Hollande s’est félicité de la « solidité des institutions algériennes ». On ignore s’il faisait allusion à l’Assemblée croupion, à la Justice aux ordres, au Conseil des ministres qui ne se réunit plus, au deux partis-État engagés dans une lutte de clans et qui se retrouvent sans direction.
Comme toute bonne énigme politico-policière, l’affaire de l’otage français décapité ne fait que commencer. Un proche de la victime aura l’idée d’en savoir plus et alors, un beau matin de l’année 2016 ou 2017, débarquera chez nous un juge parisien venu enquêter selon la bonne vieille formule qui consiste, pour un otage décapité, à faire tomber quelques têtes de généraux de l’armée algérienne.
Du reste, les premières « interrogations troublantes » fusent déjà : ici, on s’interroge sur l’inaptitude des services de sécurité algériens, pourtant dotés de gros moyens et dont on dit qu’ils ont fait boucler le massif du Djurdjura par quelques milliers d’hommes, à localiser les auteurs du kidnapping. Là, on ne s’explique pas comment l’Algérie qui se targue de disposer de moyens sophistiqués pour surveiller les communications téléphoniques et détecter les envois par Internet n’a pu intercepter les vidéos envoyées par les ravisseurs…
Mais personne ne désignera les vrais coupables qui nous ont fait vivre virtuellement dans l’Algérie du bonheur imaginé.