Entretien avec le président du RCD : « Les Occidentaux veulent pousser l’Algérie à intervenir à l’étranger »

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Mohcine Belabes est le président du RCD. Dans cet entretien, il s’exprime sur l’actualité dominée par l’exécution de l’otage français, Hervé Gourdel, l’insécurité en Kabylie, l’implication des habitants dans la lutte contre le terrorisme, les visites de hauts responsables militaires occidentaux en Algérie, etc.

Un touriste français a été décapité en Kabylie. Quelle est la situation sécuritaire dans cette  région ?

D’abord, l’acte perpétré est abject, condamnable et inhumain. Il l’est d’autant plus que la victime est un citoyen qui ne peut pas être rendu responsable des actes ou décisions de son gouvernement. Au RCD, nous avons toujours condamné et dénoncé ce genre d’actes. Et cela, quelle que soit la cible :   algérienne, étrangère ou membre de service de sécurité. Ensuite, la situation sur le plan sécuritaire n’est pas reluisante dans toute l’Algérie. Je considère que toutes les régions du pays sont touchées par ce phénomène. À Skikda, un acte terroriste a été commis, cela fait moins de deux mois. Un kidnapping a eu lieu à Tamanrasset, cela fait moins de six mois. Un complexe gazier  (Tiguentourine) a été investi par un groupe terroriste, cela fait moins de deux ans. Et je suppose qu’il y a d’autres attaques terroristes qui ont ciblé au minimum les services de sécurité et qui n’ont pas été rapportées par la presse. La différence, c’est qu’en Kabylie, il ne peut pas y avoir un acte terroriste sans que la presse ne se saisisse de l’affaire. C’est la seule région du pays où toute la presse écrite est représentée par des correspondants.

La Kabylie est-elle la région la plus touchée par le terrorisme ?

La Kabylie est la région la plus touchée par le phénomène. Dans la région, il y a plusieurs zones inaccessibles aux populations et encore plus aux services de sécurité. Les montagnes du Djurdjura, de l’Akfadou ont, pendant longtemps, servi de zones de passage et de repli pour les terroristes. Les terroristes se sont intéressés à cette région parce qu’elle n’est pas loin d’Alger. Ils savent l’impact médiatique des opérations quand elles sont organisées près de la capitale. Au cours de ces dernières années, pas moins de 80 kidnappings y ont été enregistrés. Il n’y a pas un mois qui passe sans qu’on nous signale une embuscade de l’armée ou une attaque terroriste ciblant les services de sécurité, voire même la population dans un certain nombre de cas. D’ailleurs, un émir a été abattu, il y a une semaine. Un militaire a été assassiné, il y a moins de deux mois. Un président d’APC (Bejaïa) RCD a été assassiné dans cette région en 2008. En fait, la situation sécuritaire a toujours été inquiétante dans cette région. Et pour le citoyen, les services de sécurité ne se mobilisent pas assez pour lutter contre ce phénomène. À chaque fois qu’il y a eu des kidnappings, c’est plutôt la population qui est sortie pour organiser des marches et encercler, dans certaines communes, les maquis terroristes afin d’exiger à ce que les personnes kidnappées soient libérées. Et cette semaine, beaucoup ont trouvé anormale que la mobilisation des services de sécurités soit énorme avec plus de 1 500 soldats sans compter les moyens matériels tels que les hélicoptères quand il s’agit d’un étranger. Car quand il s’agit d’un national kidnappé, les services de sécurité ne se mobilisent pas de cette manière.

Est-ce que la situation s’est dégradée au cours de ces dernières années ?

Je ne dirais pas qu’il y a une dégradation sur le plan sécuritaire. Les services de sécurité algériens ont acquis une certaine expérience dans la lutte antiterroriste. Et politiquement, le terrorisme a été vaincu. Le terroriste des années 2000 n’est pas celui des années 1990. Ce dernier avait un bras politique à l’intérieur du pays. Ce qui n’est pas le cas du premier. Maintenant, les groupes terroristes font allégeance à des organisations internationales. Et il ne faut pas oublier que l’Algérie a été la première et la plus grande victime du terrorisme. Aujourd’hui, ce phénomène est devenu international et peut frapper, et il frappe, dans n’importe quelle région du monde. Y compris dans des capitales réputées pour être très sécurisées telle que Paris ou Washington. Cela étant dit, le kidnapping puis la liquidation d’Hervé Gourdel, pose un autre problème. Au niveau de l’opinion nationale, on parle du risque de voir l’armée algérienne se transformer en une sous-traitante des armées étrangères. Ce n’est pas normal qu’on essaie de pousser notre armée à sous-traiter pour des armées étrangères dans des stratégies militaires, auxquelles elle n’a pas pris part et auquelles elle n’a pas été associée. D’ailleurs, des anciens militaires intervenant dans les médias ont fait allusion à ce problème. Et il est normal d’avoir ce débat puisque nous avons vu, cela fait deux ans, le pouvoir algérien autoriser l’aviation militaire française à survoler le territoire algérien. C’est une première. Ensuite, nous avons vu comment les dirigeants des armées occidentales viennent régulièrement en Algérie pour essayer de la convaincre d’intervenir dans des pays étrangers. Le problème est que nous sommes dans un pays où le pouvoir est illégitime. Et quand on a un pouvoir illégitime, il y a un risque à ce que cette armée soit instrumentalisée à des dessins auquels elle n’a pas été préparée et dans lesquels l’Algérie n’a rien à gagner.

Vous partagez donc le point de vue du président du MSP qui évoque un complot contre l’Algérie…

Je ne vois pas les choses de la même manière. J’estime que n’importe quel événement peut être exploité politiquement. Et un événement comme celui-là peut être exploité par les puissances occidentales pour amener l’Algérie à participer dans les opérations militaires en cours en Irak, voire même  ensuite en Libye. Mais, je peux considérer que M. Gourdel a fait des erreurs. Annoncer sur sa page Facebook, des jours à l’avance, sa visite en Algérie et son déplacement dans le Djurdjura en donnant des dates est une démarche suicidaire. D’autant plus qu’on sait que dans ces régions, il y a des terroristes. Ce qui est anormal aussi est le fait que les services de sécurité algériens n’ont pas eu cette information qui s’impose à eux parce qu’elle est disponible. Surtout quand on sait que les profils des Algériens sur les réseaux sociaux sont surveillés notamment ceux des activistes, depuis 2011. Ils auraient pu conseiller ce touriste de ne pas se rendre dans cette région. Ce ressortissant aurait pu être accompagné ou empêché de se déplacer dans des zones aussi dangereuses comme celle-là.

Est-ce que le retrait de la gendarmerie après le Printemps noir a eu des conséquences sur la situation sécuritaire en Kabylie ?

Je ne pense pas que ce soit une conséquence du départ de la gendarmerie. Il faut savoir que ce n’est pas toutes les communes qui ont été touchées par le départ des gendarmes. Il y a toujours eu une caserne de la gendarmerie à Fréha et une autre du côté des Issers. Plusieurs brigades de la gendarmerie n’ont pas quitté la Kabylie. Certes, l’intensité des manifestations de 2001 a contraint les gendarmes à quitter un certain nombre de communes. Mais rapidement, le départ de la gendarmerie a été compensé par l’installation de barrages mixtes (militaires-gendarmes-police communale). Toutes les zones ayant connu le départ de la gendarmerie ont été quadrillées par ces barrages. Et depuis 2003, il y a une forte présence de l’armée. Cependant, les terroristes en Kabylie ne sont pas au niveau des chefs lieu de communes, des villages, et passent rarement dans les zones habitées où un étranger est souvent repéré. Pour s’approvisionner, ils ont des techniques. Ils attaquent des commerçants, délestent les gens dans un café qu’ils investissent. Dernièrement, un terroriste a été arrêté du côté de Bouzghane parce qu’il est venu pour s’approvisionner. Il a été signalé par des citoyens à la gendarmerie. Les terroristes sont autour de ces communes, dans les montagnes, dans les forêts, les oueds.

Ne croyez-vous pas à une certaine démobilisation de la population face au terrorisme ?

Je n’y crois pas ! Durant ces deux dernières années, j’ai vu pas moins de dix marches populaires organisées contre le terrorisme après les kidnappings. Ensuite, le citoyen dans ces régions signale aux services de sécurité les passages des groupes terroristes. C’est grâce à ses informations que les services organisent des embuscades. D’ailleurs, la dernière a mené à l’arrestation d’un émir. Mais celui qui dénonce ne va pas le crier sur tous les toits au risque de devenir lui-même une cible. Les habitants n’aident pas les services de sécurité mais s’entraident pour faire face au terrorisme. C’est ce qu’ils ont fait pendant les années 1990. Une grande partie de la population a refusé de rendre leurs armes et ceux qui les ont rendues se sont organisés, très vite, pour demander des armes et se défendre. Mais la politique de la réconciliation nationale, engagée par M. Bouteflika, a eu une influence. Pas sur la population mais sur les structures mises en place durant la Décennie noire tels que les patriotes ou la police communale. Beaucoup y ont vu une volonté de s’approprier la victoire contre le terrorisme. Plus que cela, ils estiment que le projet de réconciliation a fait trop de concessions aux terroristes au moment où il a oublié les patriotes et les membres de la police communale qui se sont investis dans la lutte antiterroriste. Et cette politique de réconciliation nationale a fait croire que le fléau n’existait plus. Maintenant, les choses ont changé, il y a plus de militaires, de policiers, de gendarmes. Et dans l’absolu, cela rassure et on oublie que le phénomène existe toujours.

Comment expliquez-vous le fait que les services de sécurité n’arrivent toujours pas à mettre fin à ce fléau ?

Je pense que le problème de la démobilisation a aussi touché, à un certain moment, les services de sécurité. Une démobilisation due au fait que, pendant longtemps, à chaque fois qu’ils arrêtaient un terroriste, ce dernier était libéré en vertu de la réconciliation nationale. Une démobilisation constatée aussi au niveau de certains chefs militaires, même s’ils ne le montrent pas.

Comment se manifeste cette démobilisation ?

Par la réduction des opérations militaires sur le terrain. Cela veut dire qu’un chef militaire ne s’aventure plus dans une forêt pour tendre une embuscade et chercher un terroriste. Les militaires sont dans les barrages, dans les chefs-lieux des communes, dans les casernes. Et souvent, ils décident de faire des ratissages suite à un acte terroriste important. C’est qui est sûr, c’est que malgré une certaine démobilisation, il y a une avancée certaine dans la lutte antiterroriste. Les services de sécurités algériens ont acquis une expérience dans la gestion de la lutte antiterroriste. Ils sont mieux organisés et ont de meilleurs moyens pour lutter. Je ne crois pas par exemple que les services de sécurité ne connaissent pas les lieux de repli et les zones de passage après trente ans de lutte antiterroriste. D’ailleurs, on remarque que les barrages militaires sont souvent dans certains endroits considérés comme étant des zones de passage. Sauf qu’on peut toujours le contourner. Donc, s’il n’y a pas de ratissages à grande échelle organisés pour aller à la recherche des terroristes, le phénomène va encore persister. Il y a des irréductibles qui vivent dans les montagnes depuis des années. Il faut organiser des opérations commandos dans certaines zones et réfléchir à installer des casernes dans des endroits comme le Djurdjura. On doit faire un peu plus dans cette lutte (antiterroriste), notamment au niveau des frontières. Car aujourd’hui, on parle de plus en plus de terroriste d’origine étrangère.

Êtes-vous inquiet par la présence de Daech en Kabylie ?

Non, cela ne m’inquiète pas ! En Algérie, il y a des irréductibles parmi les groupes terroristes qui ont sévit depuis le début des années 1990. Ces derniers peuvent enregistrer de nouvelles recrues mais cela reste très minime. Je crois que ces groupes qui sont là n’ont plus comme avant un objectif à l’intérieur du pays. Ils sont plus à la recherche de parrains étrangers parce qu’ils voient en eux des puissances financières. C’est ce qu’ils l’ont fait avec Al Qaïda, présenté comme un groupe aux moyens financiers et matériels énormes. En fait, ce sont juste des allégeances médiatiques. Dans tous les cas, ils ne pourront pas rentrer directement en contact avec Daech qui a une force militaire et un territoire. Ce qui n’est pas le cas des terroristes algériens qui sont cantonnés dans quelques grottes et forêts et qui se savent en danger.


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