La chronique de Hafid Derradji : à qui le tour ?

Hafid Derradji

Ce que vient de faire le président de la République à son ministre d’Etat et représentant personnel, M. Abdelaziz Belkhadem, constitue un précédent unique dans l’histoire de l’Algérie. Non pas parce que l’homme a été nommé dans des circonstances mystérieuses et limogé pour des raisons vagues, mais parce qu’il a cherché à l’humilier et incité les opportunistes et les lâches qui pullulent dans les institutions de l’Etat et les structures du parti à agir contre lui.

Il a voulu l’exclure à vie de tous les postes par une décision unique en son genre. En effet, cette dernière n’a pas été annoncée par les services de la présidence de la République. Elle s’est faite par le biais d’un communiqué de l’APS, citant des «sources proches de la présidence », qui ne mentionnent pas explicitement un communiqué émanant de la présidence de la République comme le veut l’usage. Ceci explique que la décision émane effectivement de personnes proches du président, celles qui décident du sort du pays et de son peuple, en un mot, celles qui contrôlent tout.

Que l’on soit pour ou contre les tendances et les positions de Belkhadem, on ne peut se taire de la façon avec laquelle, il a été chassé car elle porte un grand préjudice à l’Etat, à la République, aux règles et aux normes politiques qui donnent au Président le droit de nommer et de limoger en vertu de la Constitution.

Cependant, rien ne lui donne le droit de contrôler la destinée des gens, de les humilier, de les exclure et de remettre en question, leur loyauté envers leur patrie, ni de les harceler jusqu’à les pousser au suicide.

Ceci est d’autant probable, que l’homme va se retrouver seul et isolé ; personne ne demandera de ses nouvelles et nul ne répondra à ses appels. Il ne trouvera peut-être aucune âme charitable pour l’accompagner lors de ses funérailles, comme ce fut le cas pour certains de ses prédécesseurs qui ont subi la malédiction et la colère du Président ou de son entourage.

Ce qui s’est produit est très dangereux pour les hommes de l’Etat et les institutions de la République. C’est désormais l’incertitude dans les sphères de l’Etat, ce qui constitue une base solide pour la culture de la haine et de la vengeance. Une situation qui fera naître plus de tension et de peur chez d’autres fonctionnaires craignant de subir le même sort si par mégarde, ils osaient exprimer une quelconque ambition politique ou étaler publiquement leurs opinions dans l’Algérie de Bouteflika.

Tout ceci a une odeur nauséabonde de pratiques qui suscitent peur et soupçon chez de nombreuses personnes communément connues comme étant les hommes du Président dont le tour viendra inévitablement un jour car la chose politique chez nous est construite sur ​​la tromperie, l’hypocrisie et sur de mauvaises bases.

Le Président aurait tout simplement pu publier un Communiqué de la présidence de la République, annonçant sa décision de mettre fin aux fonctions de Belkhadem sans avoir à utiliser cette parade de l’APS, et sans avoir à humilier l’homme ni à inciter les gens à agir contre lui comme il l’a fait. Faut-il rappeler qu’il était Premier ministre, ministre des Affaires étrangères et représentant personnel du président de la République? Et Belkhadem a, en toute circonstance, toujours soutenu le président, et il aurait pu être candidat à la présidence de l’Algérie et succéder à Bouteflika!

Je ne vais pas défendre Abdelaziz Belkhadem parce qu’il a la capacité et la compétence de le faire lui-même. Et je ne cherche nullement à le décharger, à justifier ses positions ou ses actions. Je ne vais pas non plus me réjouir de ce qui lui arrive comme le font certains de ses proches collaborateurs. Cependant, je n’hésiterai pas à défendre le principe de ne pas tirer sur une ambulance et de ne pas piétiner les hommes quand ils tombent. Car cette Algérie fragile a encore besoin de construire la culture de l’Etat, qui respecte le gouvernant et le gouverné, le fort et le faible, le riche et le pauvre. L’Algérie a plus que jamais besoin que les hommes se respectent les uns les autres indépendamment de leurs divergences.

De nombreux hommes ont subi, par le passé, l’humiliation qu’a connue Belkhadem, et après lui, d’autres hommes subiront manifestement le même sort, car le président a pris l’habitude d’humilier ses hommes et ses partisans ainsi que tous ceux qui font preuve de loyauté aveugle à son égard.

Le tour des autres viendra avec la complicité de parties sans morale ni principes que le Président démasque à chaque fois en les assujettissant, en les soumettant et en les contrôlant à sa guise. Ainsi, il les utilise pour toutes les sales besognes visant à humilier les hommes qui songeraient à respirer sans l’autorisation du Président.

Nous vivons dans un pays qui veut nous faire sentir que nous sommes les sujets de sa Majesté dont il peut disposer comme il le désire. Mais cela ne se réalisera pas, car nous sommes dans un pays qui s’appelle l’Algérie, et son peuple est libre et souverain et n’acceptera jamais d’être réduit à l’esclavage.

 


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