L’exploitation du gaz de schiste à partir de 2020 est-elle possible ?

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Chems Eddine Chitour est professeur de thermodynamique à l’École nationale polytechnique d’Alger, titulaire d’ingéniorat en génie chimique de la même école et d’un doctorat es-Sciences de l’Université Jean Monnet de Saint-Étienne (France). Spécialise de l’énergie, il revient dans cet entretien, sur l’annonce de Sonatrach d’exploiter le gaz de schiste à partir de 2020.

Sonatrach a annoncé le démarrage de l’exploitation du gaz de schiste à partir de 2020. Est-ce que c’est possible ?

Il était question, il y a quelques mois, de réaliser des forages d’exploration pour mesurer les potentialités du pays et non pas de forages d’exploitation. Maintenant, on nous parle de forage d’exploitation et le délai imparti est excessivement court pour trois raisons. D’abord, il faut du temps  pour mettre en place  une législation concernant la sécurité de l’environnement. Ce n’est pas évident de mettre en place une commission capable de contrôler et de prendre toutes les précautions nécessaires pour chapeauter la mise en œuvre de ces forages d’exploitation. Deuxième chose : il faut du temps pour la formation des ingénieurs et des techniciens.  Troisièmement, aucune information n’a été communiquée sur la quantité de forages qu’il faut faire où leurs situations géographiques. En 2013, aux États-Unis, il a fallu réaliser plus de 46 000 forages pour produire quelques 200 milliards de mètre cube de gaz. C’est beaucoup car il faut énormément d’eau.

Quels sont les risques pour l’environnement ?

Pour extraire du gaz de schiste, ce n’est pas comme  un ballon qu’il suffit de percer pour retirer du gaz. Il faut aller sous le sous-sol, d’une façon horizontale et le plus loin possible ; ce qui exige la mise en place d’un grand nombre de puits.  Et lorsqu’on augmente le nombre de puits, on augmente la quantité d’eau à injecter. Et un même puits peut être fracturé jusqu’à dix fois. Les quantités d’eau qu’il faut utiliser sont énormes,  de l’ordre de 15 000 à 20 000 m3 par puits. Cette quantité  d’eau va remonter à la surface polluée avec les boues de forages et des centaines de produits chimiques. Il va falloir la traiter parce qu’elle peut s’infiltrer dans le sol, ce qui risque d’aggraver la pollution souterraine potentielle provoquée par les forages. Les forages peuvent aussi libérer des gaz potentiellement radioactifs tels que le radon. Il est donc hautement indiqué de procéder à des forages d’exploration pour mesurer tous les impacts.

Tout cela exige une préparation drastique et rigoureuse  en moyens humains et matériels. Il faut gérer à la fois le forage avec tout ce que cela comporte comme stockage de produits dangereux, d’eau à ramener. Il faut mettre en place une véritable usine  de décontamination à proximité immédiate des puits pour ne pas disséminer la pollution. Ce n’est pas une mince affaire. Des questions s’imposent. Que va-t-on faire de ces produits chimiques ? De ces eaux contaminées par les milliers de tonnes de boues de forage ? Comment faire pour que la pollution ne contamine pas tous les sols ? Il faut énormément de précaution dans le  cimentage du forage. Il est impossible d’affirmer que le tubing sera étanche. Aux États Unis et au Canada, les puits présentent des fuites avec le risque de contaminer la nappe albienne. Si on veut limiter les dégâts sur l’environnement, on ne peut pas exploiter le gaz de schiste à partir de 2020. On ne peut pas entrer dans ce type de technologie par effraction. C’est un long processus de maturation. Nous avons besoin de ce gaz de schiste, mais pas  à n’importe quel prix. Nous pouvons le faire pour les générations futures et en espérant que d’ici là, nous aurons des technologies plus matures et respectueuses de l’environnement.  Car aujourd’hui pour l’exploitation du gaz de schiste,  on parle de 2 500 formulations avec près de  700 produits chimiques, dont 30 sont cancérigènes, selon  le dernier rapport fait au Congrès américain. Notons d’ailleurs que certaines sociétés  américaines ne donnent pas la liste des produits chimiques qu’elles injectent dans les forages.

La ministre de l’Aménagement du territoire et de l’environnement, Dalila Boudjemaâ, affirme que les techniques qui seront utilisées seront moins polluantes. Est-ce possible ?

Actuellement, la fracturation hydraulique bête et méchante qui nécessite des produits chimiques est la seule technique utilisée. Un forage consomme 20 000 mètre cube d’eau et nécessite entre 250 à 300 mètre cube de produits chimiques.  Elle induit aussi des tremblements de terre.  Même s’il est mineur, le tremblement de terre risque de perturber les tubes qui peuvent éventuellement lâcher des produits dangereux qui peuvent atteindre la nappe albienne. C’est une technologie pour le moment dangereuse. La preuve est que les Français, malgré leur savoir-faire et leur situation économique délicate, ne veulent pas y toucher. Alors pourquoi ce qui est mauvais ailleurs, serait-il bon chez nous ? Il existe d’autres technologies, mais elles sont toutes au stade de l’expérimentation comme le propane, le fluor propane, l’arc électrique. En plus de l’impact sur l’environnement, il y a une  contrainte importante : le coût de revient du gaz de schiste. Aux États-Unis,  il est de 3 dollars  le million de BTU. Les compagnies  qui exploitent le plus souvent à  perte le gaz de schiste se rattrapent avec l’exploitation du  pétrole de schiste vendu autour de 110 dollars le baril. En Europe, le coût d’exploitation du gaz de schiste sera de 10 dollars. En Algérie, il peut atteindre 15 dollars le million de BTU. À ce prix, il sera difficile de trouver des acheteurs. L’Algérie place difficilement son gaz à moins de 10 dollars le million de BTU sur le marché européen.

La ministre de l’Aménagement du territoire et de l’environnement dit qu’elle a obtenu des garanties pour la dépollution de l’eau et son utilisation rationnelle dans l’exploitation du gaz de schiste. Qu’en pensez-vous ?

Les Américains n’arrivent pas à réinjecter toute l’eau polluée pour exploiter d’autres forages. Ils essaient d’élaguer et de réinjecter une partie à partir des bassins de sédimentations, mais le gros problème ce sont les produits chimiques. Comment les stocker ? D’autant que quand l’eau ressorte à la surface, elle n’est pas limpide et elle est pleine de boue de forage. Donc, il faut des bassins de sédimentation, ce qui va bouleverser l’environnement dans la région. Et  les bassins peuvent ne pas être bien étanches. L’eau peut s’infiltrer dans le sol, ce qui polluera la nappe par le haut et non par le bas. Il faut une prise en charge effective avec des dizaines de techniciens à former dans le domaine du forage,  dans le domaine du génie chimique des procédés, dans le domaine de l’environnement, de l’hydraulique, de la biologie, de l’agriculture. Il faut aussi mettre en place un comité de suivi composé de représentants des ministères de l’Environnement, des Ressources en eau, de l’Enseignement supérieur. Et je suis convaincu de la nécessité d’un débat national et académique pour bien situer les enjeux. Si nous devions choisir entre l’eau et le gaz, les  Algériens du Sud opteraient pour l’eau. Le Sahara est un immense verger si on sait l’exploiter.


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