Entretien avec Mohamed Aïssa, ministre des Affaires religieuses

Aissa Mohamed

Vous avez annoncé la réouverture des synagogues. Avez-vous un calendrier ?

Non, il n’y a pas de calendrier. Je me suis exprimé et j’ai ouvert le débat sur les principes et les règles fondamentales gérant le culte des non-musulmans. J’ai dit que les lois de la République garantissaient la liberté de conscience et la pratique de cultes autres que musulman. Cependant, j’ai conditionné la réouverture de ces lieux par leur sécurisation. Et la sécurité ne peut pas exister via des cordons de police ou gendarmerie. Elle doit exister à travers l’acceptation de la société. Mais avec le bombardement (israélien) de Gaza, les Algériens ressentent une frustration. Parce qu’à l’heure où l’Algérie est prédisposée à prendre en charge une communauté autre que musulmane, ils constatent qu’une entité qui se dit État juif est en train de bombarder et de tuer des enfants, des femmes et des vieillards qui ne sont pas défendus par la communauté internationale. Cette situation explique un peu le retard en matière de réouverture des synagogues et des autres lieux de cultes fermés dans les années 1990 en Algérie.

La réouverture des synagogues n’est donc pas à l’ordre du jour ?

Nous n’avons pas un projet ou un calendrier précis. Mais nous examinerons des demandes si elles sont faites. En fait, j’ai même remarqué une réticence chez la communauté juive quant à la réouverture  (des synagogues). Et cette réticence est due à la question de l’acceptation par la société algérienne au regard de la situation actuelle, avec notamment les bombardements à Gaza.

Cette communauté a-t-elle demandé la réouverture de ces lieux de culte vu que la loi empêche de pratiquer une religion en dehors des lieux de culte reconnus ?

Administrativement parlant, non. Le ministère n’a reçu aucune requête. C’est lors d’un entretien accordé au représentant de la communauté juive que nous avons ressenti ce besoin et nous avons exprimé la prédisposition de l’État algérien à rouvrir ces lieux de culte. Je l’ai dit publiquement, car il n’y a pas de tabou. Mais l’État ne va pas tricher avec la société et rouvrir ces lieux en cachette. La réouverture d’une synagogue exige une démarche administrative. La restauration de ce lieu de culte, son entretien, sa sécurisation. Et encore une fois, j’entends par sécurisation l’acceptation par la société et non le cordon de police, de la gendarmerie ou de l’armée. J’ai déjà qualifié mon interlocuteur (le représentant de la communauté juive, NDLR) de patriote et de nationaliste. C’est quelqu’un qui est en mesure de sentir la prédisposition de la société algérienne et ses réticences qui sont dues, en premier lieu, au comportement d’Israël concernant les Palestiniens.

Est-ce que l’agression israélienne contre Gaza puis les manifestations de salafistes ont eu des conséquences sur votre projet de réouverture des synagogues ?

Pas du tout ! C’est à la communauté juive de juger, d’apprécier et de voir si elle se sent en sécurité. Une sécurité, je le répète, qui dépend de l’acceptation de la société. Si j’ai un appel à lancer, ce sera à cette communauté pour qu’elle se démarque de ce qui se passe en Palestine. Je sais qu’elle est consciente de l’impact de cette colonisation (israélienne, NDLR) sur le comportement de la société algérienne. Un appel à arrêter le massacre lancé par cette communauté serait très bien accueilli par la société algérienne. Un geste qui va démontrer que les Juifs se démarquent du sionisme serait très souhaité par la société algérienne. Je veux parler de signes, d’appels et de comportements qui apaisent les tensions dans une société qui est très solidaire vis-à-vis de la Palestine. Cette solidarité est ancestrale et elle est motivée par le patriotisme et la religion.

À combien estimez-vous la communauté juive en Algérie ?

Nous n’avons aucun recensement. Et il ne s’agit pas d’omission ou de négligence. L’État algérien est une République qui ne juge pas les gens sur la base de leur confession. Nous n’avons jamais posé une question à un Algérien pour savoir s’il était de confession musulmane ou non. La communauté juive a un représentant. Il rencontre les services de mon ministère pour des consultations d’ordre protocolaire, échanger des idées.

Les Chrétiens se plaignent également souvent des difficultés qu’ils rencontrent pour exercer leur culte en Algérie. Allez-vous délivrer des autorisations pour l’ouverture de nouvelles églises ?

Sur le principe, oui. Mais dans la pratique, je veux faire une distinction entre les différentes entités. Nous avons des églises à l’image de l’église catholique qui est très engagée, très sérieuse et qui a assez de lieux de culte pour pratiquer sa religion. Ce n’est pas le cas d’une nouvelle entité de Chrétiens venus en Algérie. Je citerai le cas des Coptes et des Anglicans venus pour travailler dans le pays dans le cadre de contrats avec des sociétés étrangères.  Ces deux catégories ont bénéficié de la coopération de l’église catholique qui leur a cédé certains lieux de culte. Le problème se pose au niveau des églises protestantes parce qu’elles sont diverses. L’église protestante est disloquée actuellement. Il y a eu des problèmes internes qui ne concernent pas notre ministère. Donc, certaines
communautés protestantes n’ont pas d’églises. Elles ont recours à la location de villas et de locaux à usage commercial pour exercer leur culte. Ce qui n’est pas compatible avec les lois de la République. Celles-ci exigent à ce que l’église ait l’apparence d’un lieu de culte, qu’elle soit sécurisée et qu’elle soit soumise à une autorisation préalable.

Peuvent-ils obtenir des autorisations s’ils déposent des demandes ?

L’autorisation (pour l’ouverture d’un lieu de culte) est accordée par la commission nationale de la gestion du culte autre que musulman. Bien qu’elle soit présidée par le ministre des Affaires religieuses, cette instance est composée de plusieurs secteurs et départements ministériels. Une concertation s’ouvre à chaque fois qu’une demande est déposée. Certaines demandes examinées au niveau de cette commission ont été rejetées en l’absence des conditions requises. Un étage d’un immeuble ou une cave ne peuvent être convertis en lieu de culte par exemple. Mais actuellement, le problème est que la loi sur les associations à caractère religieux, qu’elles soient d’obédience musulmane ou autre, tarde à être promulguée. Chose qui fait que ni les mosquées, ni les écoles coraniques, ni les zaouïas, ni les églises, ni les synagogues ou autre association à caractère religieux ne sont conformes à la loi. Nous avons soumis le texte et nous attendons depuis 2013.

Les mouvements chiites et les évangélistes activent en Algérie. Sont-ils considérés comme un danger ?

À mon sens, oui ! Soumettre des Algériens au prosélytisme, qu’il soit évangélique, chiite ou wahabite par exemple, est une mauvaise appréciation de leur intelligence. On ne peut pas répondre à certaines préoccupations d’ordre sociétal en poussant les concernés à se convertir à une autre religion. Je crois que l’Algérie a besoin d’une autre loi complémentaire, sinon d’un amendement, pour que la loi contre le prosélytisme (non-musulman) prenne en charge aussi le prosélytisme sectaire tel que le chiisme, le bahaïsme ainsi que le takfirisme. Ces sectes activent en Algérie. Elles exploitent les besoins des classes les plus sensibles et les plus nécessiteuses pour les amener à changer leur religion ou leur rite. Et cela est dangereux

Avez-vous une idée sur le nombre des Algériens qui se déplacent à l’extérieur du pays et qui sont endoctrinés par des mouvements sectaires ?

Nous avons même leurs noms. Ils sont des dizaines. Nous avons 40 à 50 Algériens qui sont à Qom en Iran pour étudier le chiisme. Une trentaine d’Algériens se sont déplacés au Yémen où une branche radicale du salafisme qui tend vers le takfirime existe. Les autres sont éparpillés dans le monde musulman.

Quelles sont les mesures que l’État va prendre concernant ce problème ?

Les lois de la République n’interdisent pas aux Algériens d’apprendre ou de voyager en allant en Arabie Saoudite ou à Los Angles. Même la France n’arrive pas à interdire à ses ressortissants de se déplacer vers la Syrie. Ce qui nous intéresse au niveau du ministère, c’est de ne pas permettre à ces gens d’avoir des activités au sein des mosquées et des écoles coraniques. C’est pour cela que nous avons mis à la retraite et écarté de nos mosquées certaines personnes.

Y-a-t-il un suivi de ces mouvements et de leurs leaders ?

L’État les suit de très près ! Nous avons les rapports, les noms, les lieux de rassemblements, les mosquées…. Mais ce ne sont pas des informations que nous utilisons pour contrecarrer ce mouvement. Pour le faire, nous avons une autre approche qui consiste à ériger et à promouvoir le référent religieux national. Et cette approche nous a été bénéfique. Beaucoup de gens qui s’autoproclamaient salafistes par exemple ont rejoint le référent religieux national. Ce référent, bien qu’il soit frappé du sceau malikite, ne rejette pas l’autre. Nous acceptons ces gens dans nos conseils scientifiques et comme imams, à condition qu’ils se soumettent au référent religieux national avec l’habit traditionnel et en partageant les convictions du conseil scientifique national.

Est-ce que votre ministère contrôle les mosquées et les imams sachant que des prêches radicaux sont dénoncés dans certaines mosquées ?

Je peux défier quiconque de me donner le nom d’une mosquée où il y a un prêche radical qui n’a pas été pris en charge. Nous ne contrôlons pas l’imam en amont, mais en aval. C’est une démarche de responsabilisation. L’imam est accepté tant qu’il est engagé à respecter le référent religieux national. Lorsqu’un imam rédige son prêche et qu’il s’égard, il est interpellé par le conseil scientifique. Si l’instance découvre que la cause est sectaire, l’imam est orienté vers la commission paritaire qui exécute les lois de la République. La sanction peut aller jusqu’au licenciement. C’est notre façon de faire et elle est efficace. Les égarements sont très minimes. Nous avons, par exemple, appelé les imams à observer la prière de l’absent après le crash de l’avion militaire. Nous avons rencontré des réticences chez certains qui ont refusé de le faire en se référant au rite malikite qui considère que la prière de l’absent n’est pas autorisée. Nous les avons sanctionnés. Dans cette affaire, il y a eu une minorité de salafiste qui a été radiée.

Y-a-t-il une coordination entre votre ministère et les services de sécurité pour le contrôle des mosquées ?

Nous avons une étroite coopération. Nous sommes destinataires de tous les rapports des services de sécurité concernant la vie cultuelle, musulmane ou autre. Nous les lisons, nous les analysons et nous les prenons en compte dans la gestion du culte dans le pays. Pour la mosquée, sachez qu’elle n’est pas contrôlée seulement par les services de sécurité qui rédigent des rapports à chaque prêche sinon au quotidien. Le deuxième contrôle est celui de l’association de la mosquée qui représente la société civile. Le troisième est celui de la presse qui rapporte chaque dérapage. Nous avons également les lettres anonymes des citoyens auxquelles nous réagissons. Et nous avons enfin le contrôle de l’inspection générale qui est présente dans toutes les wilayas et qui fait des rapports sur les dérapages.

Mais certaines mosquées sont contrôlées par des salafistes… Nous n’avons pas d’imams salafistes au sens sectaire du terme. Nous sommes très strictes avec eux. Ceux qui ont une interdépendance à un cheikh ou autre gourou qui les gère à partir d’un pays ou d’un laboratoire sont rejetés et ne sont pas acceptés en tant que imams. La gestion administrative et officielle du culte a fait qu’il y a un islam officiel, un islam de la société. J’ai dit au tout début de ma nomination que je ferai en sorte à ce qu’il y ait un seul islam. Je veux réconcilier la société avec son islam.

Vous avez déclaré que le jeûne était un droit privé. Est-ce que les non-jeûneurs peuvent manger en public ?

En m’appuyant sur une tradition authentique du prophète Mohamed (QSSL), j’avais dit que le jeûne est d’ordre privé. Il n’est pas apparent. Vous ne pouvez pas savoir si je jeûne ou non, si je ne le déclare pas. L’abstinence recommande cette discrétion. Cette relation très privée entre le Créateur et sa créature. Ensuite, j’ai dit que le jeûneur n’a pas à s’exhiber en public. Tout comme le non-jeûneur qui doit faire preuve de discrétion aussi. « Déjeûner » en groupe sur la place publique durant la journée, pendant le ramadan, est une sorte d’atteinte « à la horma » dans une société conservatrice. Des sociologues soulignent cette spécificité algérienne d’une société qui a épousé le jeûne comme le rite le plus pointu de l’islam. Des gens ne font pas la prière, mais jeûnent. Alors que ce pilier vient avant celui du jeûne. Une société qui considère qu’elle est protectrice de ce rite et c’est pour cela qu’il y a une grande sensibilité. Cela étant dit, on ne va pas faire des fatwas contre ces agissements parce qu’ils ne relèvent pas de la religion. On ne va pas, non plus, demander aux forces de sécurité de les interdire parce que c’est d’ordre privé. Mais la société a le droit de s’immuniser.

Concevez-vous les arrestations et les poursuites judiciaires comme une solution ?

Ce n’est pas la solution et l’arrestation doit avoir une référence juridique. À ce sujet, nous avons constaté d’autres signes de « déjeûner » autour de mosquées. Des salafistes radicaux observant le coucher de soleil à l’œil nu. Ils interrompent le jeûne sept à huit minutes avant l’appel du muezzin. C’est aussi une autre manière de s’ériger contre la société. Je voudrais dire que s’exhiber ainsi en faux devant la société pour manifester son refus vers l’État ou le gouvernement est dangereux. Car ces actes appellent d’autres agissements et pourraient susciter une chaîne de réactions. Ce qui est radical et interpelle le radicalisme. C’est pour cela que j’ai essayé d’apaiser la situation à travers mes propos.

À Ghardaïa, des Mozabites revendiquent la reconnaissance officielle du rite ibadite ?

Nous refusons de considérer le rite malikite comme étant une doctrine officielle de l’État algérien, car cet État n’est pas sectaire. D’ailleurs, aucun texte de la République ne considère le rite malékite comme étant le rite officiel du pays. C’est pourquoi il n’y aura aucun texte qui officialisera le rite ibadite. Cela étant dit, je considère qu’il s’agit d’un faux débat, un égarement. Nous avons un référent religieux national dont les sources sont le Coran et la tradition du prophète et qui se décline en Algérie à travers le rite malikite, ibadite, hanafite. J’ai lu tous les manuels de sciences religieuses, du primaire au lycée, je retrouve le caché sunnite. Il est vrai qu’on retrouve des détails malikites parfois. Des égarements dans la rédaction des manuels scolaires ont été enregistrés dans les années 1990 où on a considéré le rite ibadite comme étant un rite kharidjit. Ce qui est faux ! C’est une faute commise par la commission de rédaction. Je crois qu’elle a été corrigée même si elle a laissé des séquelles.

Considérez-vous ce qui se passe à Ghardaïa comme un conflit confessionnel ?

Non, mais il y a une instrumentalisation de ces rites pour faire perdurer les perturbations. Ni les écoles, ni les zaouïas, ni les moquées n’ont utilisé leur appartenance malikite contre les Ibadites. Au contraire ! Je me suis déplacé à Ghardaïa. Nous avons organisé une prière du vendredi dans laquelle il y avait des Ibadites et des Malikites. Je voudrais vous signaler aussi que le conseil scientifique national est composé de Malikite, Ibadites, Chafïtes et Hanbalites. À Ghardaïa, l’instrumentalisation se passe au niveau de la Toile, à travers des ouvrages, des dépliants distribués aux jeunes et en se référant à d’autres mouvements comme le salafisme. La chaîne MBC, par exemple, a diffusé un discours haineux contre les Ibadites. Ce genre de choses a un impact. Au niveau doctrinal, les Malikites au même titre que les Ibadites, font la prière presque de la même façon. Ils font la lecture du saint Coran de la même façon et lisent la même version. Ce qui les unit est plus consistant que ce qu’il les désunit,
Quelle est votre position sur le Hadj sachant que le coronavirus a déjà fait des dizaines de morts en Arabie Saoudite et que des pays ont recommandé le report du pèlerinage ?

C’est une décision qui n’est pas religieuse. Toutefois, j’ai interpellé le conseil scientifique national pour me donner un avis parce que le pèlerinage est conditionné par la capacité (physique). Ce conseil a interrogé des médecins qui ont dit : il n’y a pas de danger imminent et il n’y a pas de pandémie. C’est pour cela que nous n’allons pas ajourner le pèlerinage. La maladie touche surtout les personnes âgées, les femmes enceintes et les malades chroniques. Nous avons lancé un appel en direction de ces catégories et leurs familles pour les inviter à ajourner leur pèlerinage.

Le projet de la grande mosquée d’Alger enregistre un retard. Pourquoi ?

Il est dû à plusieurs paramètres. J’ai été nommé ministre en mai 2014. J’ai fait une visite sur le terrain et j’ai découvert que le taux de réalisation est à hauteur de 25% alors que nous aurions dû être à 60%, selon les prévisions. J’ai préféré le dire en public pour que toute la société le sache et j’ai fait un rapport. Je suis actuellement assisté par un bureau d’études algérien. Nous allons prendre une décision avant le 20 juillet. Nous n’allons pas renouveler les contrats avec certains partenaires que je ne vais pas citer.


Pour commenter nos articles, rendez-vous sur notre page Facebook,
en cliquant ici