La chronique de Benchicou : la terrible trahison des clercs démocrates (1)

Pauvre Aït Ahmed !  À entendre les propos enchantés de ces illustres personnalités démocrates ou supposées telles qui se découvrent une soudaine amitié pour les chefs du Front islamique du salut, on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée de compassion pour le chef du Front des forces socialistes si vilipendé, en son temps, pour s’être prêté à la mascarade de Sant’ Egidio. Il lui eût suffi de patienter jusqu’au 10 juin 2014 et cette prochaine parade cérémonieusement appelée « Conférence nationale de transition démocratique », pour s’asseoir avec le FIS en tout bien tout honneur, sous la bénédiction de ses plus fougueux adversaires d’hier, ceux-là qui s’apprêtent à leur tour, aujourd’hui, et en toute conscience, à anoblir le crime et à l’appeler vertu.

Pourquoi avoir fustigé Sant’ Egidio en temps de guerre terroriste pour en rétablir une pâle copie en temps de paix ? Mohcine Belabbas, le tout nouveau président du RCD, et l’un des animateurs de cette ligue sans âme, apporte une réponse appropriée : « En politique, on sait très bien qu’on peut changer d’avis à tout moment », vient même de le rappeler (Interview à TSA du 31 mai 2014). Bel éloge de la versatilité à laquelle se rattache, désormais, le nom de ses anciens compagnons de combat, Khalida Toumi et Amara Benyounès et en vertu de laquelle Saïd Sadi est allé à confesse, l’autre jour sur la chaîne El-Maghribia, jurant ses grands dieux qu’il était contre l’interruption du processus électoral de 1992.

Avec moins d’outrecuidance, mais néanmoins autant de talent dans l’inconstance, trois anciens Premiers ministres, Benflis, Hamrouche et Ghozali, donnent, eux aussi, l’absolution à ce banquet entre les poules et le renard. Le dernier nommé affirme même, et sans sourciller, que la participation des cadres de l’ancien parti du FIS dissous à cette prochaine kermesse, ne le dérangeait pas « personnellement ». Mais alors, cela dérangeait qui, en janvier 1992 ? Pour qu’on ait plongé le pays dans un état d’exception auquel, du reste, M. Ghozali a prêté son concours en qualité de Premier ministre de Boudiaf ? Et pourquoi « Personnellement ? » On ne parle pas, ici, d’invitations individuelles à une garden-party entre anciens élèves du lycée ! Ce dont il est question, ici, c’est de l’honneur de millions d’Algériens qui ont résisté à l’État théocratique, de cet honneur dont nous vivons aujourd’hui, dont vivent messieurs Sadi, Bellabas, Benflis ou Ghozali, dont ils sont comptables, oui comptables devant les hommes et devant l’histoire. Il est question, Messieurs, de cet honneur sans lequel nous ne vivrions de rien !

On était en droit d’attendre d’un raisonnement, né dans des esprits si avisés, qu’il fût fier et déterminé comme le dictaient vingt ans de sacrifices contre l’intégrisme islamiste, comme le clamait, hier encore, la sœur du jeune Hichem Guenifi, vingt-trois ans, assassiné par les hordes de tueurs islamistes. Il ne le fut pas. On espérait alors qu’il soit intelligent à défaut d’être glorieux. Mais non ! Tout ne fut que révoltante obséquiosité à l’endroit des chefs islamistes, oui d’une obséquiosité, honteuse, dégradante, de cette obséquiosité qui défigure les martyrs et pétrifie les vivants.

Rares auront été les hommes se revendiquant, en théorie, d’une Algérie moderne et démocratique qui auront, dans la pratique, autant manqué de dignité et de mémoire, eux que l’on a surpris en prosternation devant deux dirigeants de l’ex-FIS, Kamel Guemazi et Ali Djeddi, qu’ils ont, sans vergogne, promus au rang de démocrates et lavés de tous leurs crimes, ne répugnant pas à les classer parmi « les personnalités de l’opposition et les acteurs de la société civile ». Il leur importait peu de marcher sur leurs propres principes, de se contredire, pire, de se désavouer puisque c’est cette même « Coordination nationale pour les libertés et la transition démocratique » qui s’était donnée pour mission de consulter les « acteurs politiques activant dans un cadre légal et s’engageant à respecter les valeurs et principes démocratiques » qui a triomphalement annoncé sa rencontre avec Guemazi et Djeddi, deux hommes n’activant dans aucun cadre légal et qui, à notre connaissance, ne se sont jamais engagés à respecter les valeurs et principes démocratiques. Mieux : ladite Coordination évoque, dans un communiqué rédigé après la rencontre, « une convergence des points de vue autour du ‘diagnostic de la situation qui prévaut en Algérie’ et des dangers qui la guettent ». Sur quoi donc peuvent converger un leader démocrate et Guemazi, ci-devant maire d’Alger et dont un des célèbres faits d’armes fut d’avoir interdit le gala de Linda de Suza ? On ne sait pas. Nos démocrates non plus, je suppose, eux qui prennent le risque d’apparaître pour ce qu’ils sont : des larrons capricieux, versatiles, à la merci de leur fantaisie présente, toujours excessifs, plus puérils qu’un enfant.

C’est ainsi, bardés de tant d’inconstance, en proies d’une imagination avide ne sachant sur quelle jambe se tenir et vers quel horizon se tourner, qu’ils offrent à contempler leurs impuissances à changer quoi que ce soit. Mais l’un d’eux, en mauvais stratège, expédie la question d’un ton péremptoire : « Il fallait rencontrer les dirigeants du FIS, il était nécessaire de régler, à un moment donné, cette exclusion d’une partie de la population ». Nous y voilà ! Une figure démocrate qui se fait l’avocat de la base du FIS en piétinant sa propre base !  Nos leaders démocrates, oublieux, ont choisi le camp des égorgeurs tout en proclamant le faire au nom des égorgés !

En vérité, j’ai bien peur que nos capitaines démocrates, à la recherche d’artificiers pour la prochaine bataille, incapables de trancher entre leur impatience et la nécessité de l’histoire, se fourvoient dans une forfaiture fatale qu’ils nous présentent comme un engagement subtil.  On perd tout à vouloir tout gagner. À cette rencontre « pour la transition », ils iront sans l’aval des Algériens qu’ils auront trahis et sans celui des troupes qu’ils auront inutilement courtisées. Eux qui ont si maladroitement cherché à troquer l’honneur des Algériens contre une paix avec le diable, ne connaîtront, pour reprendre la formule de Churchill, que la guerre et le déshonneur.

(À suivre)


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