La chronique de Hafid Derradji : les Brésiliens ne sont pas des fous de foot

Nous avons longtemps pensé que les Brésiliens étaient des fous de football, un peuple qui respire, mange et boit football.  Pour nous, les Brésiliens aiment leurs joueurs, leurs clubs et leur équipe nationale plus que leurs enfants et leurs familles.

Pourtant, les mouvements de protestation que vivent de nombreuses villes brésiliennes depuis deux ans pour s’insurger contre l’organisation de la Coupe du monde de football sur leur sol en raison des coûts élevés d’une telle manifestation, face à une crise économique croissante et des tensions sociales qui n’en finissent pas, prouvent que les Brésiliens aiment leur pays plus qu’ils n’aiment le football, et se soucient de leur avenir plus que de la Coupe du monde.

Par ailleurs, la recrudescence de la vague de colère à quelques jours de l’événement footballistique planétaire avec des manifestations contre les dépenses faramineuses pour la rénovation des stades et la construction de nouvelles infrastructures pour abriter la Coupe du monde témoigne de ce que la majorité de la population est confrontée à de multiples difficultés.

L’agitation au Brésil a commencé au début de 2013 lorsque le peuple s’est emparé de la rue pour protester contre l’augmentation des prix dans les transports publics. Le mouvement s’est, par la suite, intensifié pour dénoncer les dépenses excessives du gouvernement pour l’organisation de la Coupe du monde, sans se soucier d’améliorer le niveau des services destinés aux citoyens ni à l’investissement dans des projets liés à l’éducation, au logement ou à la santé, alors que les différents besoins des citoyens sont devenus le dernier de leurs soucis.

Au lieu de s’arrêter, ces mouvements de colère ont pris de l’ampleur pour toucher toutes les franges de la société et dans toutes les villes du Brésil.

Il va sans dire que cet état de fait a surpris le monde entier qui a toujours considéré les Brésiliens comme des fous de football.  De nombreuses personnes à travers le monde pensent, à tort, que le ballon rond peut faire oublier ses préoccupations et ses problèmes au peuple brésilien, et que rien ne peut le détourner du divertissement qu’offre ce sport mythique.

Les manifestations qui se poursuivent encore aujourd’hui sont la preuve du contraire.  En effet, de nombreux Brésiliens comptent continuer leur mouvement de protestation pendant toute la durée du Mondial et ce dans toutes les villes du pays.

En dépit de leur passion pour le football et malgré le taux de croissance qu’a connu le pays ces vingt dernières années jusqu’à devenir l’une des plus grandes économies en Amérique du Sud, le peuple brésilien continue à revendiquer une vie digne et rêve d’un avenir meilleur qui ne se fera pas grâce à une victoire en Coupe du monde.

Le peuple brésilien est convaincu que cela ne saurait se faire sans des sacrifices, des efforts et une conscience politique collective, que le temps où la passion pour le football était utilisée pour tromper le peuple est révolu. À présent, la nation passe avant l’équipe nationale, avant le football et avant la Coupe du monde.

Un récent sondage a montré que la moitié du peuple brésilien refuse que son pays abrite la Coupe du monde, avec toutes les dépenses que l’organisation d’un tel événement engendre sans aucun intérêt pour le pays, selon eux.

L’autre moitié accueille favorablement une telle manifestation dans le pays, mais critique les dépenses excessives, la corruption et le détournement de l’argent public. Les Brésiliens s’insurgent contre la mauvaise gestion du secteur de la santé et de l’éducation et applaudissent le peuple qui s’est enfin réveillé pour revendiquer ses droits politiques et sociaux de façon civilisée, et ce malgré les tentations qu’offre le football, leur passion pour ce sport mythique et l’amour qu’ils vouent à leur équipe nationale.

« Une Coupe sans peuple, je suis de nouveau dans la rue », tel est le slogan des Brésiliens aujourd’hui. Ils l’utilisent pour revendiquer leurs droits et apporter une victoire de la rue alors quand, par le passé, les victoires se jouaient sur les terrains des stades, à travers leurs stars nationales et leur équipe.

Cette vague de protestation ne va pas s’arrêter là, elle risque même de mener au boycott des matchs de l’équipe brésilienne lors du mondial, et ajouter ainsi à la pression des joueurs. Ce qui affectera sans aucun doute l’organisation de cette compétition internationale.

Voir les Brésiliens atteindre ce niveau d’indifférence pour le football, pour la Coupe du monde et pour leur équipe, prouve qu’ils ont atteint un haut niveau de conscience et comprennent la nécessité de poursuivre les manifestations pacifiques comme moyen de pression pour revendiquer de meilleures conditions de vie et de lutte contre toutes les formes de sous-développement et de corruption.

Cela signifie aussi que le monde est en train de changer et que les peuples sont de plus en plus conscients. Les gens ont compris qu’il était temps d’en finir avec le culte du football et de le ramener à sa juste valeur. Le foot est un divertissement ; il n’empêchera pas les gens de dormir, de manger et de boire et ne les détournera plus de leurs préoccupations essentielles.


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