La chronique de Benchicou : Boulevard Saïd Bouteflika (4 et fin) : pourquoi il faut croire Madani Mezrag

Deux annonces, pas forcément synchronisées, viennent confirmer la mise en branle de la stratégie du président Bouteflika visant à viabiliser le terrain pour faciliter le transfert du pouvoir à son frère avant la fin de l’actuel mandat (lire nos trois précédentes chroniques).

La première est sortie de la bouche du fidèle Amara Benyounes qui ne demande rien moins que l’organisation d’élections législatives anticipées au courant de l’année 2015. La seconde nous vient de l’ex-chef de l’Armée islamique du salut (AIS), Madani Mezrag, qui révèle, dans un entretien paru dimanche 25 mai sur Echourouk, le retour du FIS sur la scène politique.

Ces deux déclarations sont deux pièces importantes dans le puzzle complexe et cohérent que le chef de l’État est en train de mettre en place afin de permettre l’accession au pouvoir de son jeune frère. Amara Benyounes justifie sa proposition de législatives anticipées par le fait qu’elles sont « rendues nécessaires par l’adoption d’une nouvelle Constitution, le nouveau découpage administratif annoncé et l’évolution significative du rapport des forces politiques en présence depuis le dernier scrutin législatif ». Ce qu’il ne dit pas, c’est que seules des législatives anticipées permettraient la mise sur orbite du futur parti de Saïd Bouteflika comme formation politique majoritaire à la place du FLN et du RND.

La sortie de Mezrag valide, elle, ce que nous écrivions dans notre précédente chronique : « Le projet politique (du Président) reposera sur les forces qui, pense-t-il, vont donner au système une nouvelle validité : une coalition impliquant la société « civile » et à laquelle se joindraient les Islamistes de l’ex-FIS ! Le jeune frère évoluerait sur un terrain viabilisé : consensus total ! Le fondement de la nouvelle « légitimité » du système reposerait sur la « rénovation » et la paix. La « rénovation » par une nouvelle classe politique qui remplacerait les anciennes structures discréditées ; la paix par une concession politique majeure aux Islamistes radicaux, c’est-à-dire le retour de l’ex-FIS sur la scène politique ! »

L’accord entre la présidence et les chefs de l’ex-FIS reposait sur un marché exceptionnel : la réhabilitation politique, c’est-à-dire la possibilité de créer un nouveau FIS qui s’intégrerait dans l’architecture du futur pouvoir de Saïd Bouteflika.

Comme toujours, la dernière déclaration de Mezrag a fait sourire ou hausser les épaules. Nous serons décidément toujours en retard d’une bataille par rapport à Abdelaziz Bouteflika. Ce dernier ne fait que poursuivre une démarche mûrement réfléchie devant déboucher sur la consécration de son frère, démarche entamée en 2005 et qui avait failli se concrétiser une première fois en 2007 s’il n’y avait pas la réaction des « gens d’en face » avant d’être gelée à partir de 2010 par les révoltes arabes et la fragilisation du pouvoir de Bouteflika suite aux scandales de corruption qui ont compromis son clan.

Au risque de nous répéter, rappelons qu’en juillet 2007, les tractations entre Bouteflika et l’ex-FIS avaient été dévoilées publiquement par ce même chef de l’Armée islamique du salut, Madani Mezrag, puis par son adjoint Ahmed Benaïcha, en décembre, dans les colonnes du journal arabophone El Bilad : « Dès sa réélection en 2009, le Président prononcera une amnistie générale et permettra au FIS de retourner sur la scène politique. »

Pour rendre irréversible le pacte avec Bouteflika, Madani Mezrag le rend public le 16 août, en conférence de presse, et annonce la création prochaine d’une nouvelle formation politique qui succéderait au FIS. « Des droits politiques et civils nous ont été accordés dans le cadre de l’amnistie, et notamment la participation aux élections, et ces droits inquiètent déjà certaines personnes influentes au pouvoir, qui cherchent à nous barrer la route. Nous concrétiserons ce projet, s’il le faut, sans l’approbation du ministre de l’Intérieur  », ajoute-t-il, laissant entendre l’appui direct de Bouteflika.

Le 2 septembre 2007, Yazid Zerhouni, « instruit » par le chef de l’État,  confirme, toute honte bue,  aux journalistes les propos de Mezrag : « Les activistes de l’Armée islamique du salut dissoute, qui ont fait part de leur intention de revenir à l’activité politique dans un nouveau parti, peuvent présenter leurs dossiers ! ». La sortie déroutante de Zerhouni est saluée par les dirigeants de l’ex-FIS : « Zerhouni a agi en tant qu’homme d’État qui respecte la loi et la Constitution ainsi que le droit des citoyens à s’organiser dans un cadre légal », déclare aussitôt Madani Mezrag à El Khabar.

Pourquoi, alors, le plan avait-il échoué ? À cause des « parrains d’en face ». Entre le 2 et le 4 septembre 2007, une tempête bouleverse le régime. Le général Toufik réussit à renverser la vapeur. « Le FIS ? Pas question ! » Deux jours après avoir acquiescé au projet de retour du parti dissous, Yazid Zerhouni se rétracte le 4 septembre à partir de Jijel, déclarant devant des journalistes ébaubis : « Tout retour des responsables du parti dissous sur la scène politique est exclu. Ceux qui évoquent aujourd’hui le retour des anciens responsables du FIS à l’activité politique semblent oublier que la plaie du terrorisme est encore ouverte ».

La pirouette fit rire tout Alger. « Si ça continue comme ça, on va finir par attraper un vilain rhume ou pire, une méchante grippe ou pire encore, une angine carabinée, se gausse le chroniqueur du Soir, Hakim Laâlam. M’enfin ! Arrêtez de fermer et d’ouvrir cette porte du FIS sans arrêt ! »

Deux jours plus tard, un attentat suicide est perpétré à Batna où se trouvait Bouteflika en visite. On y dénombrera une cinquantaine de morts. Le kamikaze s’était joint à la foule qui attendait l’arrivée du cortège présidentiel. Mais, selon des témoins, découvert par la population, il a précipité son action et fait exploser sa bombe au milieu de l’assistance. Le Président est alors intervenu en direct sur plusieurs chaînes de télévision, lançant sa fameuse parabole : « Je dis à ces criminels qu’il n’y a aucune issue possible en dehors de la Réconciliation nationale ». Les initiés comprennent : il visait les « parrains d’en face. »

Mais aujourd’hui, nous ne sommes plus en 2007. La marge de manœuvre du clan Bouteflika est totale. La dernière décapitation du DRS ouvre un boulevard pour l’option Saïd Bouteflika. Il n’y a plus de « parrains d’en face » pour déjouer la manœuvre. Même Ahmed Ouyahia qui se prononçait contre les négociations avec les Islamistes, et pour « la lutte contre ces criminels, traîtres et mercenaires jusqu’à leur éradication totale », convie les dirigeants de l’ex-FIS à présenter des suggestions pour l’amendement constitutionnel !


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