La chronique de Hafid Derradji : Prêtez serment et je prêterai le mien

Hafid_Derradji

Monsieur le Président,

Aujourd’hui, vous avez prêté serment au nom des grands sacrifices de nos vaillants martyrs, et au nom des valeurs éternelles de novembre que vous allez défendre la Constitution ! Le même serment que vous avez répété trois fois depuis votre retour pour « sauver l’Algérie », « la libérer du cycle de la violence », « éteindre les feux de la sédition » et « sortir l’institution de la présidence de l’amateurisme vers la professionnalisation ».

Par trois fois, vous avez répété cette prestation, mais vous n’avez jamais respecté votre serment de respecter la Constitution.  En revanche, vous avez respecté vos ambitions personnelles et vous avez « confectionné » le texte de base de la République à votre taille afin de demeurer à votre place.

Quant au quatrième mandat, il sera utilisé pour continuer à « confectionner » la Constitution de votre propre plume en changeant le plus d’articles possible dans le but de fermer le jeu politique et afin que toutes les pièces mises sur la table de la « confection » politique répondent à vos souhaits et votre humeur du moment.

Monsieur le Président, vous avez fait le serment d’assurer la continuité de l’État, alors je vous demande en ma qualité de citoyen : « Où est cet État dans lequel vous allez mettre en place cette continuité dont vous parlez, votre Excellence ? »

Vous avez exercé la continuité selon votre point de vue ;  dans le pillage, la fraude et la corruption.  Vous avez exercé la continuité pour détruire les piliers de l’État et ses institutions et vous vous êtes goinfré de la culture de la « continuité » en gardant les mêmes têtes agitatrices à leur position. Si telle est votre projet de continuité, alors nous préférons nous en passer. Nous voulons un État avec des institutions, un État qui ne se réduit pas à la personne d’un seul homme. Nous refusons que l’État soit la propriété de qui que ce soit, car ce ne serait pas un État constitutionnel s’il venait à appartenir à une seule personne dirigeant un groupe, ni même dirigé par une seule personne qui en dispose à sa guise.

« J’ai fait le serment d’offrir les conditions nécessaires pour le fonctionnement normal des institutions et de l’ordre constitutionnel ». Est-ce que ce sont les mêmes institutions législatives et exécutives dont les membres vous ont entouré quand vous avez décidé de suivre la logique de « l’Algérie m’appartient ? » Le peuple est fatigué de leurs visages politiques et il déteste la politique à force de voir les mêmes visages qui vous entourent depuis des années ; des visages qui n’ont rien fait sinon consacrer la médiocrité dans les chambres du Parlement ou du gouvernement et même dans le reste de ce qui est appelé institutions d’un pseudo-État. Des institutions transformées en corps inertes par les gens de votre entourage qui en font ce que bon leur plaisait.

Vous avez fait le serment de soutenir le processus démocratique et de respecter la liberté et le choix du peuple. Le faites-vous par l’oppression et la division de la classe politique pour mieux la casser par ceux qui (manœuvrent et promettent) à votre droite comme à votre gauche ? Vous avez étranglé au nom d’une – présumée démocratie – les efforts de tous ceux qui refusent que les choses continuent de cette façon.  Je suis convaincu que vous allez développer vos méthodes de « démoctature » afin de nous transformer tous en un seul bloc qui scande « vive le Zaim ».

Vous savez pertinemment, tout comme tous ceux qui vous entourent, que la démocratie ne saurait se construire sans liberté. Croyez-vous au moins à cette liberté, pour prétendre assurer la démocratie et la justice sociale dans l’Algérie d’« Al îzza wal Karama » qui ne disparaîtra pas avec la disparition des hommes selon vos dires ?

Vous avez fait le serment de protéger l’unité du peuple et de la Nation et d’éteindre tous les feux de la sédition. Pourtant, ni les feux de Ghardaïa ne sont éteints et la terre kabyle n’a pas retrouvé la paix et la sérénité… On se demande comment vous allez protéger l’union du peuple, quand tous ceux qui ont dansé à votre fête démocratique – pas celle de l’ Algérie – ont traité le peuple de toute sorte de propos blessants qui resteront à jamais gravés dans les mémoires. Certains ont maudit le peuple et d’autres ont offensé les Chaouias, alors que le reste s’en est pris à nos frères de Ghardaïa et de Kabylie.

Vous avez fait le serment de protéger les libertés et les droits fondamentaux de l’homme, alors que les droits des citoyens sont des rêves inaccessibles. Et moi, en ma qualité d’être humain et de citoyen, je vois l’espace des libertés se réduire comme en témoigne, d’ailleurs, ce qu’a subi tout opposant à votre quatrième mandat comme offense et accusation de trahison. Des accusations dans des proportions inadmissibles allant jusqu’à porter atteinte à des figures historiques, révolutionnaires et politiques qui n’ont eu de tort que d’exprimer leurs craintes pour l’avenir de l’Algérie et ont exprimé leur opposition au quatrième mandat pour se retrouver dans la case des traitres aux pratiques honteuses de ceux qui vous applaudissent et vous acclament.

Vous avez fait le serment de travailler sans relâche pour répondre aux besoins du peuple et leur offrir les moyens de la prospérité, mais la réalité vous rattrape pour dire que la roue, si elle existe encore, c’est pour retourner en arrière.  Ainsi, nos espoirs sont détruits avec un taux d’inflation et de chômage en hausse perpétuelle, la criminalité et la pauvreté qui nous guettent, et la baisse des revenus du pétrole et de notre pouvoir d’achat. Par ailleurs, la tromperie, l’hypocrisie, la corruption et la perte des valeurs se sont répandues à tous les niveaux, et la culture de « la brosse et de l’ovation » s’est installée dans l’Algérie d’« Al îzza wal karama ».

Vous avez fait le serment de fournir tous les efforts afin d’installer les idéaux de la justice, de la liberté et de la paix dans le monde, et je me demande toujours – Monsieur le dirigeant –  Est-ce que votre santé physique autre que mentale vous permet de réaliser tout ça ?  Votre santé, vous permet-elle de jouer le jeu de la politique étrangère et tout ce qu’elle exige comme déplacements à travers le monde ? Vous permet-elle de participer à des conférences et de prononcer des discours, de confronter des chefs d’État et de gouvernements ? Ou devrons-nous nous rendre à l’évidence et accepter les déclarations de Benyounes, de Belkhadem et Saâdani sur votre santé mentale ? Devrons-nous démentir ce que nous voyons de nos propres yeux, qui nous disent que vous êtes un homme exténué, fatigué par les années et dont le temps est révolu « tab djnanou », un homme qui a surtout besoin de repos et de soins ?

Monsieur le Président,

La prestation de serment aura un sens lorsque le président respectera et honorera (le texte fondamental de la République algérienne), et lorsqu’il respectera le peuple qui l’a élu; le jour où il se libérera de tous les corrompus nourris par la culture de la vengeance et des règlements de comptes jusqu’à user de la politique de la « terre brulée » contre tous ceux qui ne se tiennent pas solennellement sur la voie du quatrième mandat…

C’est seulement dans un cas pareil que vous pourrez parler de ce que vous prétendez être un État, un peuple et des institutions, et nous pourrons alors parler du sens vrai de la prestation de serment.  En revanche, si les choses viennent à rester en l’état, alors c’est encore la loi du plus fort qui prévaudra et contre laquelle rien ne servira, même un serment des plus vrais dont sera témoin votre excellentissime congrégation qui vous accompagne depuis votre premier mandat.

Quant à moi, citoyen, je fais le serment , Monsieur le Président – loin de tous les préambules, lois, constitutions, coutumes et autres jargons dont nous nous sommes lassés – Je jure que je resterai fidèle à mon pays et à mes convictions et je rejette tout ce qui pourrait porter atteinte à la dignité de mon pays et de son peuple de quelque partie que ce soit, même si cela devait venir de mon père et de ma mère, et même si c’est au prix de ma liberté, car je suis convaincu de ce qu’on dit que la justice est une couronne que l’homme porte sur sa tête pour être digne de son humanité.

Et Dieu m’est témoin.


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