ENTRETIEN avec Amara Benyounes : « Nous ne revendiquons pas l’unanimité mais une majorité pour diriger le pays »

Benyounes 2

La campagne électorale se termine aujourd’hui et le dernier meeting s’est déroulé en l’absence de votre candidat. Ne trouvez-vous pas cette situation étrange ?

Vous connaissez très bien la situation. Nous n’avons jamais caché la maladie du Président qui est actuellement en convalescence. Les Algériens connaissent son état de santé et que l’on le veuille ou non, l’état de santé du Président s’améliore de jour en jour. Je l’ai déjà dit et je suis obligé de le redire : il ne va pas gérer l’Algérie avec ses pieds mais avec sa tête.

Nous l’avons vu hier discuter avec le ministre espagnol des Affaires étrangères. Ce n’est pas quelqu’un qui a perdu ses facultés intellectuelles. C’est au contraire quelqu’un de très alerte. J’ai eu la chance de le rencontrer pendant 40 minutes lors de la visite du vice-Premier ministre portugais. Nous avons parlé de la campagne électorale et il m’avait donné des conseils et des orientations concernant cette question. Le Président suit parfaitement la situation politique du pays et il est au courant de tout.

Est-ce que les Algériens vont voir le candidat Bouteflika avant le 17 avril ?

Les Algériens vont le voir car il va s’exprimer. Cependant, c’est lui qui va choisir le moment et la manière pour le faire. Abdelaziz Bouteflika est un vrai patriote, et un vrai patriote ne prendra jamais le risque de mettre son pays en danger. S’il était persuadé que son état de santé ne lui permettrait pas d’être candidat et par la suite président de la République, il ne se serait jamais présenté. Et je suis convaincu que s’il voit que son état de santé ne lui permettra pas de faire son travail, il va se retirer de lui-même. Il ne prendra jamais le risque de mettre l’Algérie en danger.

Est-il normal qu’un président-candidat s’exprime sur les violences au cours de la campagne électorale lors d’un entretien avec un ministre étranger ?

Il est le président de la République jusqu’à ce que le Conseil constitutionnel valide l’élection du prochain président. On ne va pas mettre un écriteau pour signifier que « l’Algérie est fermée » et qu’il faut revenir après le 17 avril. Il a également reçu John Kerry et le prince du Qatar. C’est tout à fait normal !

Quel bilan faites-vous finalement de cette campagne électorale ?

Normalement, une campagne électorale est l’occasion d’un débat libre entre le candidat et les citoyens. Nous avons fait notre boulot en tant que représentants du candidat et nous n’avons perturbé aucun candidat. Par contre, certains de nos meetings ont été perturbés et malheureusement il n’y a pas eu de dénonciation. Et certains médias ont presque encouragé ces débordements et ces perturbations. Imaginez que ce soient les représentants de Bouteflika qui chahutent les meetings des autres. Ils nous auraient traités de tous les noms.

Nous sommes obligés de reconnaitre qu’il y a eu, au cours de ces dernières semaines, une escalade dans la violence verbale de certains candidats et des menaces de plus en plus claires sur les institutions et les fonctionnaires de l’État algérien. Des menaces de sortir dans la rue, aussi. Je l’ai dit durant tous mes meetings, les Algériens sont fatigués de la rue et n’attendent pas de changement émanant des rues. Nous savons tous ce que les rues ont donné, notamment en Algérie durant les années 1990. Donc, pour nous, il est absolument impossible d’accepter ce retour vers ces années-là.

Le Président a évoqué les violences qui ont marqué cette campagne et notamment des menaces à l’encontre des walis. Qui a menacé les walis ?

Un candidat l’a dit lors de ses meetings. Il interpellait les walis et leur a dit de faire attention à ce qui va se passer le 17. De faire attention à eux, à leurs familles, et à leurs enfants.

Vous voulez parler de Ali Benflis ?

Oui. Et c’est extrêmement dangereux. C’est quelqu’un qui a été chef du gouvernement et donc chef des walis. Ces derniers occupent quand même une position stratégique dans les édifices institutionnels de tous les pays. Mais je pense que c’est un candidat qui a perdu pied.

Des manifestants à Paris affirment avoir été agressés par les partisans de Bouteflika et disent avoir porté plainte en France…

Ce sont eux les agresseurs et nous les agressés. Ce sont bien eux qui viennent nous agresser dans les meetings et il faudrait bien que les services d’ordre les fassent sortir des salles. À Paris, l’AFP a parlé de 1 500 personnes (présentes dans la salle) et je pense qu’il y avait plus de 2 000. Et eux (les perturbateurs, ndlr), ils étaient quatre. On ne va pas laisser quatre personnes perturber un meeting de 2 000 personnes. Ils ont été évacués par les services d’ordre tranquillement.

Assiste-t-on pour la première fois à ce que vous qualifiez d’une escalade de violence ?

Il y a eu le FIS bien sûr. Mais je crois que c’est la première fois qu’on a atteint ce niveau de violence avec les menaces contre les institutions et l’État.

Comment expliquez-vous cela ?

Je pense que c’est dû à la confrontation, à la réalité du terrain. Au fur et à mesure que la campagne électorale avançait, les uns et les autres se rendaient compte de leur poids réel dans notre société et ils se rendaient surtout compte du poids réel de notre candidat. Mais c’est tout de même incroyable que des candidats puissent envoyer en 2014 des perturbateurs pour déstabiliser un meeting. En Europe, c’est l’extrême droite qui fait ça. Ce n’est pas digne d’un candidat qui veut être président de la République.

Des candidats à l’élection présidentielle mettent en garde contre une éventuelle fraude électorale…

Personnellement, si j’étais sûr qu’il y aura fraude, je ne me présenterai jamais aux élections. Car on ne peut pas se présenter aux élections et dire que si je ne suis pas élu, c’est qu’il y a eu fraude. On ne fait pas de chantage à l’administration. Il dit qu’il a prévu 60 000 personnes pour surveiller les bureaux de vote. Comment il peut donc y avoir fraude s’il y a 60 000 personnes. Le président Bouteflika n’a pas besoin de fraude pour gagner !

N’avez-vous pas peur de l’abstention ?

C’est un vrai problème. Durant toute la campagne électorale, je commençais les meetings par un message clair. Celui d’aller voter massivement. Et le discours sur la violence est très dangereux parce qu’on peut faire comprendre aux Algériens qu’il y a une autre solution en dehors du vote alors qu’il n’y en a pas. Il faut que les Algériens comprennent que la solution politique s’impose via les urnes et non par la rue ou par un coup d’État militaire. Nous avons construit la démocratie de manière très douloureuse dans notre pays et nous sommes arrivés à une stabilité. Personne ne dit que les élections sont parfaites en Algérie. Il y a des insuffisances mais je pense qu’à chaque élection, nous améliorons la transparence et la démocratie.

Des appréhensions pour l’après-17 avril ?

Lors d’une élection, il y a trois étapes. La première est le débat démocratique qui vient d’avoir lieu et qui continue aujourd’hui. La deuxième étape est le 17 avril et donc le verdict du peuple. Et la troisième est le respect du verdict ou du choix du peuple. Nous nous sommes engagés à respecter le choix du peuple quel qu’il soit et les autres doivent faire la même chose. Et je l’ai dit et ce ne sont pas des menaces : si des gens ne respectent pas le choix du peuple et qu’ils décident de sortir dans la rue pour imposer le choix de la rue, on a des institutions solides qui sont républicaines et qui interviendrons pour garantir la stabilité du pays.

Que pensez-vous des appels lancés pour aller vers une période de transition ?

C’est incroyable. D’abord ils ne disent pas vers quoi on va transiter. Ensuite, il y a deux thèses complètement contradictoires et opposées, même s’ils sont d’accord sur la transition. Un vous dit que seule l’armée a une légitimité et donc c’est elle qui doit conduire la transition. Pourtant ce personnage était contre l’armée durant les années 1990 et faisait partie des gens qui disaient « qui tue qui ? ». Un autre vous dit que tout le monde peut conduire la transition sauf l’armée. Voilà encore un problème.

L’institution militaire n’a rien à voir avec la politique. C’est phénoménal de voir qu’au nom de la démocratie, ils demandent l’intervention de l’armée. Gaïd Saleh l’a dit : la mission (de l’armée) est la protection et la sécurité du pays. En fait, ils veulent évacuer le président Bouteflika. Le coup d’État militaire et le coup d’État médical n’ont pas marché, l’empêcher de se présenter, aussi. Maintenant, ils veulent une transition.

Que pensez-vous de la lettre de Liamine Zeroual ?

C’est quelqu’un pour qui j’ai un énorme respect. L’homme a dirigé l’Algérie alors qu’elle était dans une situation extrêmement dramatique. Mais en toute sincérité, il a une voix et il va voter comme tout le monde. Pour moi, il a donné son avis et il a dit deux choses importantes : faire attention à la stabilité du pays et appeler les gens à voter. Cependant, je ne vois pas à quoi répond toute cette polémique.

On voit ces journaux qui sont devenus de véritables tracts ou de véritables partis politiques qui veulent brûler le pays. Heureusement qu’ils n’ont pas les moyens de leur politique parce que ça ferait longtemps qu’ils auraient brûlé ce pays. Avant-hier, un journal titrait « Journée cauchemardesque pour Amara Benyounes et Amar Ghoul à Khenchela », par exemple. J’aimerais bien vivre beaucoup de cauchemars comme celui-là : une salle archipleine et un perturbateur qu’on a mis dehors. On avait déjeuné à Khenchela. Nous ne revendiquons pas l’unanimité mais une majorité pour diriger le pays.

 


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