C’est inédit dans l’histoire des élections en Algérie. Un président de la république en exercice, candidat à sa propre succession, se plaint devant les caméras auprès d’un officiel européen du comportement violent d’un autre candidat à l’élection présidentielle. Abdelaziz Bouteflika, silencieux depuis le début de la campagne électorale, a décidé enfin de parler.
Mais au lieu de s’adresser aux Algériens, le chef de l’État a saisi, ce samedi 12 avril, l’occasion d’une audience officielle filmée par la télévision algérienne pour s’attaquer à son rival Ali Benflis. Devant José Manuel Garcia-Margallo y Marfil, ministre espagnol des Affaires étrangères, Bouteflika a usé de mots durs à l’égard de son rival, sans jamais citer son nom. Il a qualifié des déclarations de son ancien Premier ministre, tenues lors de son passage en direct sur l’ENTV, de « terrorisme à travers la télévision ».
Les propos sont forts, l’accusation très grave et la méthode utilisée condamnable. Le président, champion en matière de défense de la « souveraineté nationale », transgresse un principe fondamental de la diplomatie algérienne en impliquant directement un partenaire européen dans une bataille qui, a priori, ne le concerne pas.
La visite de José Manuel Gracia est en effet inscrite « dans le cadre de l’approfondissement de la concertation et du dialogue politique, conformément au Traité d’amitié, de coopération et de bon voisinage signé entre les deux pays, en octobre 2002.» Elle intervient « également dans le sillage de la préparation de la 6e Réunion de haut niveau algéro-espagnole, programmée pour le dernier trimestre 2014 ». Enfin, l’Union européenne, dont fait partie l’Espagne, a refusé d’envoyer des observateurs pour superviser l’élection. L’officiel espagnol n’est donc pas venu pour parler de la campagne électorale, du moins pas publiquement.
Qu’est-ce qui motive alors, la sortie du président-candidat? Et si une menace existait ou des risques de dérapages, n’aurait-il pas été préférable d’alerter d’abord l’opinion nationale ? Pourquoi Bouteflika n’a pas parlé aux Algériens sur un sujet qui les concernent directement ?
La semaine dernière, en recevant John Kerry, chef de la diplomatie américain, Bouteflika, n’a pas abordé publiquement la question de la présidentielle ni la campagne électorale. Qu’est ce qui a changé depuis? Dans le camp de Benflis, on évoque la thèse de la « panique ». « Ali Benflis mobilise, ce qui perturbe l’adversaire », explique-t-on chez le candidat. Les partisans de Bouteflika « recourent aux mensonges et aux affabulations comme moyens » pour contrecarrer la réussite de ses meetings, a souligné, pour sa part, le candidat Benflis lors de son meeting à Oran, en réponse aux premières accusations formulées dès l’après-midi par le staff de Bouteflika.
Mais dans ce cas, une déclaration, comme l’a fait son staff ce samedi après-midi, aurait été largement suffisante pour dénoncer les agissements supposés violents de Benflis. En fait, le plus surprenant dans la démarche du candidat Bouteflika, c’est cette volonté de prendre à témoin l’opinion internationale et principalement l’Europe.
S’agit-il d’une façon de rappeler à l’Europe qu’elle a « fauté » en décidant de ne pas envoyer d’observateurs ? Rappelons aussi, que l’Union européenne a publié, le 27 mars, un document au vitriol sur la situation en Algérie. Le texte recense notamment tous les blocages politiques en Algérie, un pays où les promesses de réformes n’ont pas été concrétisées. En affirmant que lui et ses partisans sont ciblés durant cette campagne, le chef de l’État ne cherche-t-il pas à démontrer que l’Algérie n’est pas ce pays fermé et autoritaire décrit pas les ONG et l’Union européenne ?
La sortie inattendue du chef de l’État ouvre la voie à de nombreuses interprétations.