Entretien avec Abdelouahab Fersaoui, président du Rassemblement actions jeunesse

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Fersaoui Abdelouhab est président du Rassemblement actions jeunesse (RAJ). Il offre une lecture, un point de vue circonstancié de ce qu’est un mouvement associatif en Algérie à la veille d’un rendez-vous électoral

Comment votre association suit-elle l’élection présidentielle du 17 avril prochain ?

Le RAJ suit ces élections avec intérêt, car elles se préparent dans une conjoncture nationale exceptionnelle, marquée par des mouvements qui expriment le ras-le-bol de la situation. Les gens rejettent le système. Ces élections sont un événement important dans la vie de l’Algérie. Avant, on imaginait que ces élections pouvaient constituer une opportunité pour amorcer la mise en place d’un État de droit, mais malheureusement la manière avec laquelle est gérée cette élection montre que ce n’est pas le cas. Nous suivons l’évolution des choses mais on est dans une situation très délicate. On ne sait pas ce qui va se passer après le 17 avril.

La campagne électorale prend fin dimanche 13 avril. Les candidats ont-ils abordé les principales préoccupations de la jeunesse algérienne ?

La question de la jeunesse n’a jamais été une préoccupation du pouvoir algérien, de l’indépendance à ce jour. Ces élections présidentielles s’inscrivent dans la continuité du régime. On n’attend pas quelque chose de cette campagne qui a pour objectif de pérenniser le système. Ils n’ont donné aucune mesure concrète pour la jeunesse. Tout ce qu’ils ont fait c’est d’écarter la jeunesse de la politique.

Outre les promesses faites au cours de la campagne, y a-t-il eu des propositions concrètes pour résoudre le problème du chômage par exemple ?

Ce n’est pas nouveau. Entre le discours et la réalité il y a une grande marge. Le pouvoir parle tout le temps de la jeunesse mais il ne fait rien concrètement. C’est un discours populiste pour absorber la tension de la jeunesse. D’ailleurs elle ne croit plus en ces discours. Les élections n’ont jamais apporté un plus au quotidien de la jeunesse algérienne. Aujourd’hui, cette jeunesse est en contestation permanente pour montrer son ras-le-bol. Ces contestations, ces manifestations, c’est une manière de rejeter le régime en place qui a atteint ses limites et qui ne trouve pas de solutions à cette jeunesse. La jeunesse n’est pas dépolitisée. Au contraire. Elle rejette ce système qui a échoué. La jeunesse est consciente, et veut ses droits. Les jeunes veulent être des acteurs et non des objets.

Quel regard porte-t-elle, selon vous, sur la candidature du président Bouteflika malgré son état de santé?

Ces élections sont entachées de fraude comme les précédentes. Peut-être que par naïveté, jamais on n’a imaginé qu’un régime irait au point d’imposer un candidat malade qui n’a pas les facultés physiques et morales pour jouer son rôle de président. Nous avons besoin d’un président qui peut se déplacer à Ghardaïa pour discuter avec les manifestants. Qui peut se déplacer au Sud, qui peut animer des conférences de presse, qui peut représenter l’Algérie dignement. Mais d’arriver au point de faire une campagne par procuration, de faire des déclarations par procuration, c’est une humiliation pour le peuple algérien, et pour l’histoire de l’Algérie qui a pu organiser l’une des plus grandes révolutions du 20e siècle. C’est trop flagrant cette fois-ci. Cela décrédibilise davantage les institutions de l’État et fragilise la souveraineté populaire.

Que pensez-vous des dispositifs (Ansej par exemple) mis en place, par Bouteflika, pour régler le problème de chômage ?

Ce sont des mécanismes qui ont été lancés sans concertation et sans planification. L’objectif du régime en place est d’absorber la colère de la jeunesse. Il s’agissait de s’assurer la paix sociale. Ils sont prêts à dépenser des milliards de dollars sans stratégie. Ce sont des mécanismes qui ont échoué, il n’y a aucune évaluation et malheureusement, on a transformé des jeunes chômeurs en personnes endettées. Le régime en place utilise la rente pétrolière pour acheter la paix sociale, au lieu de l’investir dans la production pour créer une économie productive qui apporte le développement social et économique.

Comptez-vous élaborer, à l’image de ce que vous avez fait en 2012 après les législatives, un sondage à l’occasion après la présidentielle sur la participation des jeunes ?

Nous avons déjà fait ce sondage en 2012. On l’a envoyé aux partis politiques, au ministère de l’Intérieur, de la Jeunesse et des Sports, et au Premier ministère. Ils n’ont affiché aucun intérêt à ces résultats qui pourtant donnent l’état d’esprit réel de la jeunesse algérienne. Deux ans après, je ne pense pas que les résultats vont changer. Au contraire, on aura sûrement des résultats plus alarmants qu’en 2012. On s’est demandé s’il y avait lieu de faire un nouveau sondage, mais on a pensé qu’il était préférable de faire d’autres actions comme des rencontres de proximité avec des jeunes pour discuter de la situation actuelle du pays.

Comment votre association travaille-t-elle sur le terrain après l’expiration du délai de deux ans accordé aux organisations de la société civile pour se conformer à la nouvelle loi sur les associations ?

La nouvelle loi sur les associations est en contradiction avec le discours officiel qui prétend qu’elle est destinée à renforcer l’État de droit. En réalité, c’est pour casser toute dynamique citoyenne et limiter le champ d’action et pour nous mettre sous la tutelle de l’administration. D’ailleurs, il y a l’article 41 qui expose toute association à un gel dès lors qu’elle s’ingère dans des affaires politiques. Or, pour nous, c’est un devoir de s’ingérer dans les affaires internes du pays.

Cette loi, on l’a refusée, on a mené des campagnes de sensibilisation avec d’autres associations, on a lancé une pétition et il y aura d’autres actions dans ce sens. Nous avons fait notre devoir puisque nous avons tenu l’assemblée de mise en conformité avec la présence d’un huissier de justice. On a essayé de déposer auprès du ministère de l’Intérieur, mais on n’a pas pu avoir un rendez-vous. Il y a contradiction. D’un côté, on demande aux associations de se mettre en conformité avec une loi et de l’autre côté on ne donne pas les autorisations.

Le RAJ a fait deux demandes d’autorisation pour tenir son assemblée de mise en conformité mais il n’y a pas eu de réponse. La deuxième réponse était un refus sans motivation. On ne peut avoir confiance aujourd’hui dans le régime algérien qui prône la démocratie, qui prône l’État de droit alors que la liberté associative n’existe pas, ce qui est en contradiction avec la Constitution algérienne. Notre association active en toute transparence, mais malheureusement on a une dizaine de comités au niveau national qui sont bloqués à cause de cette conformité. Le pouvoir algérien n’a pas délivré cette mise en conformité ni même un accusé de réception.

Quelles mesures devrait prendre le prochain président pour la jeunesse ?

Nous ne sommes pas très optimistes sur ces élections, vu la manière avec laquelle elles ont été organisées. On n’attend pas grand-chose pour ne pas dire, nous n’attendons rien de ces élections. Aujourd’hui, il y a un point positif : tout le monde appelle à un changement pour aller vers un processus démocratique. Il y a un consensus autour de ça. Il faut passer du discours vers le concret. Il faut dialoguer pour donner du contenu à ce processus démocratique. Et voir quel changement et quelle transition on veut. Il faut passer à l’action. Si on reste comme ça, l’Algérie va aller droit dans le mur et la mobilisation de toutes les forces vives est indispensable en ce moment.

 


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